Chapitre 1: Myrha

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Ohlia s'étendait sur des kilomètres. Je l'ai vu de mes propres yeux. Qu'importe la direction dans laquelle se posaient mes yeux: des paysages à perte de vue. Aucunes frontières ne pouvaient être devinées. Par ce spectacle, ce monde m'imposa son immensité et sa grandeur. S'il m'avait fallu du temps pour admettre son existence, sa prospérité me sauta inéluctablement aux yeux. Debout, au sommet de la plus haute tour, de la plus haute montagne, je pris conscience de ma légèreté, des enjeux de ma présence en ces lieux. Je me fis alors la promesse, de tout tenter pour cet univers. Exactement au même endroit où Döllen fit le même serment, des siècles auparavant. Excepté, qu'il ne le faisait pas pour la cité, ni pour lui-même, mais pour Myrha. Cette femme, qui par amour, fit sombrer le royaume dans le chaos. Aurait-elle agi autrement si elle avait su ? Je ne pense pas.

***

Cela s'était déroulé en début de soirée, alors que la plupart des ohliens étaient confortablement installés chez eux. Myrha s'était arrangée pour échapper à la surveillance de sa famille. Armée de courage, elle était furtivement sortie de son habitation de pierre, pour gravir le mont Céleste. Elle était couverte d'un châle rose ample, sous lequel elle avait attaché ses cheveux bruns bouclés. Le tissu fermement tenu, elle tentait de couvrir son ventre arrondi, à peine dissimulé par sa longue robe bleue. L'idée de désobéir aux lois de la cité lui était terrible. Mais cette injure lui semblait moindre face à la nécessité de protéger l'être qui grandissait en elle. Elle était décidée à atteindre le sommet et rien ne pourrait l'arrêter.

C'était un long périple, surtout pour une femme enceinte. Toute la cité était directement taillée dans la roche, tout autour de la montagne. Un unique chemin partait des champs environnants pour rejoindre son sommet. Des huit cités, Rhô était l'une des plus anciennes. Si élevée dans les cieux, qu'au fil du temps, des mythes et des légendes se bâtirent autour d'elle. Et ainsi, le peuple y fonda ses dessins spirituels. Son temple était devenu la voix du royaume et ses sages, les détenteurs du savoir universel. C'est pour cela que Myrha s'y rendait. Malgré le souffle court, malgré les courbatures, elle voulait questionner le Don. S'il était principalement sollicité par les sages des autres cités, toute la population pouvait l'interroger. Chacun devait estimer en son for intérieur l'importance et la véracité de sa demande. Et ce soir, les pas guidés par les rayons de la lune, Myrha avançait; malgré les désapprobations de son entourage. La jeune femme devait le consulter, pour l'avenir de son enfant. Même infimes, des signes auraient dû se manifester. En ce temps, il était rare de ne pas connaître le pouvoir de l'enfant avant la naissance. La plupart du temps, la mère présentait des signes. A faible quantité certes, mais suffisamment pour le deviner. Rien ne se produisit pour Myrha. La grossesse fut étonnamment calme, exceptionnellement vide, tristement silencieuse.

Lorsqu'elle arriva à la fin du sentier, la Place était vide. Personne n'osait monter la nuit. Les rhoiens respectaient les heures de consultation. Myrha n'y avait pas songé. Sûrement c'était-elle attendue à rencontrer les habitants du temple. Mais, à cet instant, l'atmosphère semblaient trop silencieuse, trop pesante. Elle n'avait jamais apprécié le panorama de cette hauteur artificielle. La forme ronde du lieu pavé était dessinée par les trois grandes tours, dont la plus grande était le point culminant de la cité. Érigée avec les pierres de la montagne, elle semblait monter bien trop haut, donnant l'étrange sensation de quitter la terre, d'être hors du temps.

Brusquement, Myrha se décida. Elle franchit le porche et emprunta l'escalier central, pour atteindre le sommet de la tour principale. Pour ne pas fléchir et rebrousser chemin, elle se concentra sur ses dernières forces et arriva sur le toit, où se trouvait l'oracle. Il était dos à elle, les mains posées contre la rambarde du balcon, les yeux plongés sur la vallée d'Olhia. La jeune femme se demanda comment il poussait se pencher ainsi, sur le vide, sans avoir la sensation de s'y perdre. Le don de clairvoyance de Döllen devait le priver de toutes peurs.

L'enfant des deux cielsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant