Quelle belle journée pour les amoureux de la vie !
Au lieu d'en profiter comme n'importe quel être sensé, l'abruti que je suis se contente de fixer son téléphone, verrouillé, touchant l'écran noir par moment pour qu'on croit que je fais un truc très intéressant et ne pas passer pour un gros nul esseulé sans amis, ce que je suis en fait.
Je lève la tête de ma distraction fascinante pour admirer le beau monde qui m'entoure. Sur ma gauche, des abrutis se pressent pour aller en cours. À ma droite, des abrutis se traînent pour aller en cours. Au dessus, un magnifique ciel bleu caché par ce superbe plafond design à la con.
— Salutations mon ami !
Voilà que devant moi surgit le rayon de soleil de ma vie. Enfin, un des rayons de soleil de ma vie.
— T'es trop heureux dès le matin.
Je lui sers quand même la main parce que je suis poli.
— Ça me fais plaisir que tu sois content pour moi !
Pour toute réponse je ris bêtement et l'invite à bouger car les grognasses viennent d'arriver du dernier bus, et je n'ai aucune envie de les supporter aujourd'hui, ni les autres jours d'ailleurs.
Les grognasses, c'est toutes les sales mômes qui parlent et rient trop fort à côté de moi. C'est à dire quasiment tout le lycée.
On se rend pas compte, mais c'est épuisant de haïr le monde entier parfois.
À peine le temps d'échanger quelques banalités et de connaître la raison de la joie matinale de mon cher ami - je sais pas ce que c'est, j'ai pas écouté- que cette affreuse sonnerie retentit, et c'est tout guillerets que nous sautillons jusqu'à notre salle de classe, impatients de découvrir les résultats du bac blanc qui nous a bien ruiné le moral pour les vacances.
Avant tout, et comme chaque fois dans cette salle, je dois chercher ma place, qui change chaque fois à cause des effectifs des autres classes, ces cons bougent toujours ma table parce qu'ils n'en ont pas besoin. Cette fois, elle est à l'autre bout de la pièce, je dois donc bouger mon postérieur et porter cette table affreusement lourde avec mes pauvres petits bras tous frêles -et d'une manière peu élégante. Cette tâche accomplie, je me laisse tomber sur ma chaise et cherche déjà une raison de me plaindre.
J'ai la chaise bancale putain.
Je regarde la jolie horloge au dessus du tableau, et ma myopie me laisse deviner l'emplacement des aiguilles. 8h32 semble t'il, moins les quatre minutes d'avance de cette donneuse de faux espoirs, la journée n'est pas terminée...
Et merci Captain Obvious.
Le prof nous fait assoir - en grand rebelle que je suis je ne l'ai pas attendu- et nous annonce sans dissimuler sa joie que les résultats au bac blanc sont excellents, par rapport aux autres années -certainement pas grâce à moi. Il fait gonfler les chevilles des élèves pendant que j'hésite à pleurer ou frapper quelqu'un pour passer mes nerfs. Je sais que c'est vraiment pas folichon, si j'avais révisé en même temps...
On nous rend les notes sur une feuille blanche - un joli gâchis de papier- avec nos appréciées copies d'examen. Je ne prends pas la peine de regarder la mienne, la mine désespérée et pleine de pitié du prof suffit à me faire comprendre l'ampleur de ma connerie et de sa déception.
Des reniflements. Le gars devant moi pleure encore, et il a de quoi cette fois, mes yeux sont involontairement tombés sur sa feuille et ses notes sont aussi bonnes que les miennes. Son voisin lui caresse le bras de façon malsaine et essaie de le consoler comme il peut.
Ils sont vraiment adorables ceux-là, le côté fanboy gay en moi que je refoule les verrait bien ensemble. Des rumeurs circulent comme quoi ils seraient effectivement en couple, on les aurait vus main dans la main, et ce genre de conneries. Ils ont de la chance si c'est le cas.Si le meilleur ami de ce garçon montre au moins un peu de compassion, ce ne sera jamais le cas de mon meilleur ami. Il se contente de grimacer pour me montrer sa pitié, et retourne s'auto féliciter pour ses bons résultats. Je l'ignore pour me conforter dans mon déni tant aimé pour ne pas déprimer sévèrement, c'est un truc pas mal que j'ai appris au cours de mes années de scolarité vouées à l'échec.
L'ennui maintenant, c'est que pour nier il faut que je fasse autre chose, et le seul truc que je pourrais faire c'est de taper la conversation avec mon voisin, problème étant qu'il est occupé à relire ses copies pour apprécier - ou râler selon les pages- les commentaires.
Je vais me contenter de suivre le cours, quand le prof aura fini de parler des résultats, évidemment.
Putain..
***
J'ai vraiment besoin d'air, heureusement que je ne suis pas si loin de la sortie finalement. J'attends quand même mon fidèle ami parce que j'ai pas envie de me retrouver seul dans ce couloir bondé et visiblement trop étroit pour sa fonction.
Et là, elle apparaît. Cela ne dure qu'une seconde, mais c'est suffisant pour me faire sursauter et pour que mon coeur loupe un battement. Cet ange passe à côté de moi, son corps me frôle, ses cheveux m'effleurent de cette façon si indécente -à mes yeux seulement soyons d'accord- et ce petit corps admirablement fragile, gai, plein de vie, cette fille est mon rayon de soleil - le deuxième du coup. Une seconde s'écoule et elle s'en va déjà, ne m'accordant pas même un regard, si ce n'est celui de son amie qui doit me juger à force de la fixer tout le temps.
— On y va ?
Pourquoi faut-il toujours qu'on me ramène à la réalité ?
— Laisse moi réapprendre à respirer et j'suis à toi.
Mon ami me lance ce regard confus que je vois un peu trop souvent ces temps ci. Il finit par regarder derrière moi, derrière lui, et répond à sa propre question :
— Tu l'a vue c'est ça ?
Je hoche la tête sans pouvoir m'empêcher de sourire comme un con, parce que les gens amoureux sourient comme ça.
Il glousse en disant que c'est relou de parler d'elle dès le matin, et m'entraîne dans l'enfer du couloir vers notre nouvelle salle de cours. Je le suis sans râler pour une fois.
Cette fille m'a remonté le moral.
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L'incroyable Histoire Barbante d'Hector Lheureux
General FictionHector Lheureux, c'est ce gars au prénom étrange qui ressemble à une blague. Hector Lheureux, c'est ce gars un peu invisible, qu'a pas beaucoup d'amis et qui n'aime pas grand monde de toute façon, qui est amoureux de plein de gens, mais déteste l'hu...