Je revins chaque jour et nos séances ne consistaient plus qu'à un défi de regards où aucun son ne parvenait à nos oreilles. Le temps me paraissait comme figé : le bruit constant de ma pensée devenait qu'un chuchotement à peine audible. Cela ne dura qu'une semaine, mais je sentais ma fascination pour ce patient grandissante au fur et à mesure.
Ce n'est que huit jours après notre rencontre que cette atmosphère pesante cessa. J'avais préalablement fouillé dans les archives en quête d'un élément déclencheur, je n'avais pas tardé pas à en trouver. Dès le commencement de la séance, je lui annonçai notre sujet d'aujourd'hui : Bob. Un silence tortueux se fit.
En ma qualité de psychologue, je décidai, réprimant ma curiosité, de détourner la conversation :
- Sinon... je...
- Non, non, c'est bon... c'est bon, coupa-t-il, sa voix se perdant dans sa réflexion.
- Vous... vous voulez me parler de lui ?
- Oui... enfin, non. Je ne sais pas.
Je le laissais donc réfléchir en l'observant. Son regard dans le vague, il donnait l'image, assez surprenante, d'un abandonné, comme s'il eut déserté une bataille contre lui-même. Il prit la parole après cinq longues minutes :
- Avez-vous déjà eu la sensation de tomber dans un grand trou noir... et que personne ne vous voit tomber... jusqu'à ce que vous touchiez le fond. Comme si... quand vous pouviez aider quelqu'un, vous ne faites rien et... que lorsque vous n'y pouvez plus rien, vous vous acharnez à le remonter.
Son ton paraissait lourd, lent mais étonnamment superficiel. La même expression sur son visage, à un détail près : une larme, ne rougissant ni les yeux, ni les joues, et ne provoquant aucune moue. Une larme qui n'avait rien à faire là.
Il leva un sourcil comme le premier jour. J'attendis pour m'assurer qu'il n'avait plus rien à exprimer mais il continua :
- Tous les autres ont essayé de comprendre Bob... ou plutôt de savoir qui il était... Ils ont tous déguerpi avant de pouvoir l'entrevoir. Mais vous... vous êtes différent, je peux le voir dans votre regard. Vous n'avez pas peur.
- Et est-ce bien ou mal ?
- Bien, je pense, sauf si...
La voix du Dr Marrow annonçant la fin de la séance me désola. Je me retournai pour le faire comprendre au garçon mais il était déjà reparti dans son éternelle tristesse.
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Faster and Faster - Tome 1
General FictionLa rencontre entre un psychologue et son patient. De quel côté êtes-vous ? "And the angels wouldn't help you, because they've all gone away." Fire Walk With Me, David Lynch.