« Il faisait froid cette nuit là, l'air était glacial, le vent soufflait avec virulence. Je me souviens que mes doigts me faisaient mal et qu'il m'était impossible de les plier. Pourtant je restais obstinément assise dans l'ombre du vieux préau en face de cette maison. La rue était déserte, silencieuse, tout le monde avait fui le froid de l'hiver pour se réfugier dans leurs foyers chaleureux. Il n'y avait pas une seule âme dehors, sauf la mienne, enfin ce qu'il m'en restais. Mon corps fut parcouru d'un long frisson m'obligeant à remonter un peu plus le col de mon manteau. Malgré son épaisseur, je pouvais sentir chaque degré que la température perdait. Mes tremblements furent incontrôlables tandis que j'essayais tant bien que mal de réchauffer mes mains. L'angoisse nouait ma gorge et frappait mes entrailles.
C'est dans ce moment de faiblesse, je l'avoue, qu'une voiture s'arrêta sur le trottoir opposé. Un homme y sortit, celui pour qui j'étais assis dans ce froid depuis maintenant quelques heures. Il était âgé d'une quarantaine d'année, les cheveux grisonnant et les traits du visage tirés. Mais ce visage portait également les marques d'une grande douceur, presque enfantine, qui me surprit immédiatement. L'homme retira les petites lunettes orangées posées sur son nez, d'une main tremblante. Il semblait stressé, enfin, en l'occurrence apeuré. Il regarda une dizaine de fois autour de lui, vérifiant qu'aucun voisin indiscret l'observait. Puis il plongea sur sa banquette arrière. Il sortit une épaisse sacoche en cuir, les yeux écarquillés par la peur d'avoir un tel objet en sa possession. De l'autre côté de la rue, caché dans l'ombre de ce préau humide, mon cœur battait la chamade, ce pourquoi j'étais là était enfin à ma portée. L'adrénaline pulsait dans mes veines alors que je priai tous les saints que je pouvais connaître pour ne pas me faire remarquer par des voisins indiscret ou l'homme lui-même dans l'ombre de cette belle demeure, de cette si gentille grand mère. Même si je savais que c'était parfaitement impossible.
Alors que je m'approcha de lui, le plus silencieusement possible, prête à lui prendre ce qui m'était dû, je le vis secouer la tête pour remettre ses idées en place. Il coinça la sacoche dans le creux de son épaule et se pencha de nouveau sur la banquette arrière. Lorsqu'il fut visible, je pus voir dans sa main tremblante un Beretta 92, qu'il plaça maladroitement dans sa ceinture. Je m'arrêtais instantanément, qu'il soit armé n'arrangeait pas ma petite affaire. Je glissais contre le plus gros des chênes, me cachant de la vue de ma cible et entendis la porte d'entrée claquer derrière le passage de l'homme. J'allais devoir attendre encore un peu, surtout j'allais devoir passer au plan B, celui que je redoutais le plus. Dans un soupir exaspéré, je sortis mon vieux paquet de cigarette et m'en allumais une. Les tueries n'avaient jamais été mon truc.
Tout ce qu'il me restait à faire était d'attendre que l'homme s'apaise, qu'il se sente en sécurité dans cette maison chaleureuse d'où je pouvais voir un fin filet gris s'échapper de la cheminée. Je confesse, qu'un fin sourire apparue malgré moi sur mon visage, rougis par le froid, quand je vis la dernière lumière s'éteindre à l'étage de longues heures plus tard. J'étais alors rendu à ma sixième cigarette que j'écrasai machinalement en dessous de ma botte. Désormais, le plan B était en marche, plus rien ne pourrait m'arrêter. Je sortis mon plus fidèle compagnon de son écrin et l'enfonça dans ma ceinture.
Mais alors que je me tenais devant la porte d'entrée, une voiture passa devant moi à vive allure, m'exposant quelques secondes à la lumière crue de ses phares. Le mystérieux conducteur ne s'arrêta pas, ni même ne freina, il ne semblait même pas m'avoir remarqué. Ce fut sa plus grave erreur même si le conducteur n'en n'aura jamais vraiment conscience. Demain, aux premières heures du jour, il saura toute la vérité et il sera heureux de ne pas avoir été à la place de l'homme mais jamais il ne se dira qu'il aurait pu changer cela et peut-être même sauver ce pauvre homme. Les Hommes ont toujours été ainsi, égoïstes et naïfs. Je secouai la tête, dépitée par ce monde, et crochetai la serrure. Je pris soin de ne pas refermer la porte derrière moi, pour faciliter l'arrivée de mes vieux amis dans quelques heures, ils avaient toujours besoin d'un coup de pouce de ma part pour arriver à faire leur boulot correctement.
Je fus alors dans le hall richement décoré de cette immense demeure. Tout était fait pour faire comprendre à ceux qui s'invitent dans la villa que les propriétaires étaient immensément riche. Je pénétrais alors dans le vaste salon, faiblement éclairé par le feu mourant de la cheminée en pierre. La chaleur y était presque étouffante. J'enlevai mon épais manteau et mes gants puis les jetait sur le large canapé d'angle en cuir brut. Il fallait que je me sente à l'aise pour réussir correctement ma mission. Mon regard scruta le moindre recoin de la pièce, d'énormes tableaux trônaient fièrement sur chaque mur aux côtés d'innombrable babioles valant une fortune. Je m'avançai alors vers la commode qui exposait les photos de famille, toutes celles qui avait une vie privée ardente en possédait une. Des secrets lourds à porter, une vie familiale explosée, un parent alcoolique, ces familles là se devaient de montrer aux personnes extérieures à quel point ils étaient heureux. Je souris en voyant les photos de cette famille tant d'affreuses réalités dévoilés en seulement cinq instants capturés. Mon regard s'arrêta sur trois photos en particulier, je les retirèrent de leurs cadres respectifs et les mirent dans ma poche. Les autres étaient ridiculement inutiles et surtout nauséabondes dans leur hypocrisie. Je les jetais sans une once de regret dans la cheminée, la braise mourante se raviva aussitôt provoquant une énorme flamme qui éclaira un bref instant l'entièreté mon visage avant de le replonger dans la pénombre de la pleine lune.
Puis tandis que le bois des cadres et le verre craquaient paisiblement dans le foyer brûlant de la cheminée, je montais doucement à l'étage.
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Ils ont perdu
Mystery / ThrillerAucun mot ne peut décrire une telle folie. Elle est si sanglante, si imprévisible. On l'appelle Ophélie Valdeloin mais est-ce vraiment son nom? Personne n'a pu le confirmer et celles qui le pouvaient ont mystérieusement disparu. Qui est-elle réell...