Ils ont perdu

Partie 5 - Drôle d'interrogatoire

Il y eut un long silence dans la petite salle d'interrogatoire mais la femme assise en face du lieutenant Martin Janos, n'avait pas détourné ses yeux perçant des siens. Elle ne cessa pas de sourire non plus, si on pouvait appeler cela un sourire. Rien dans ce sourire n'était charmant, le jeune inspecteur, Dirk Thomas, nouveau collègue du lieutenant se l'était persuadé dès le premier regard échangé avec la criminelle. Elle semblait sonder l'âme du lieutenant mais ce dernier ne détourna pas un seul instant les yeux de sa prisonnière. Dirk, lui, se sentait de plus en plus mal à l'aise. Il n'avait pas peur, non, l'école lui avait appris à faire abstraction de la peur mais il sentait un mal être profond briser la moindre once de courage en lui. Soudain le lieutenant Janos brisa le silence d'une voix ferme

- Arrêtez donc de vous tortiller ainsi, inspecteur Thomas, lui lança-t-il à la figure. Le jeune homme ne put se retenir de rougir de honte.

L'imposant lieutenant au visage aussi dur que du roc n'avait pas élevé la voix mais cela avait suffit à Dirk pour sursauter. Tel un prédateur sentant une proie blessée, le regard de la jeune femme se braqua sur lui. Dirk se sentit soudain si vulnérable qu'il détourna le regard. Une sueur froide glissa lentement le long de sa colonne vertébrale. Il voulait partir, quitter cette pièce exiguë au plus vite, mettre le plus de distance possible entre lui et ce visage si blême. Il était incapable de prononcer un mot. Une question lui brûlait les lèvres mais il lui était impossible de parler.

- Tu sembles avoir une question pour moi, jeune inspecteur, fit soudain cette fille aux traits aussi jeunes que les siens. Elle semblait lire dans ses pensées. Vas-y, tu peux la poser, tu as toute mon attention.

Mais avant que Dirk puisse ouvrir la bouche, Martin Janos ouvrit violemment le dossier contenant le moindre détail de l'affaire en cours. La femme sembla un instant contrariée de ne pas pouvoir connaître la question de l'inspecteur mais le lieutenant ne le remarqua même pas. 

- Pourquoi tuer deux enfants innocents ? Avait alors demandé le lieutenant en posant la photo d'Elizabeth et Abigaël, deux enfants souriantes.

Cette question était parfaitement inutile, les deux policiers connaissaient déjà la réponse. Cette affaire était pratiquement terminé. Ils avaient les victimes, la meurtrière, les armes ainsi que son propre témoignage, tout accablait la jeune femme, tout était parfait. Ils l'avaient arrêté sans la moindre difficulté, elle n'avait pas tenté de s'échapper et avait même attendu leur arrivé en prenant soin d'ouvrir la porte. Mais ils leur manquait quelque chose de primordial, quelque chose qu'ils tentaient d'obtenir grâce à cet interrogatoire: celui qui était aux commandes.

- Pourquoi pas ? Répondit la jeune femme dans le plus grand des calmes en haussant simplement les épaules. 

Puis elle posa ses coudes sur la table et avec un sourire plein de condescendance elle chuchota

- Si cela ne tenait qu'à moi, j'aurais épargné les gosses, je les aurais peut-être même enfermé dans une pièce à l'écart pour éviter qu'ils endurent un tel spectacle.

- Pourquoi ne l'avez vous pas fait alors ? Demanda soudainement Dirk Thomas d'une voix qui trahissait sa peur. 

Le lieutenant lui lança un regard noir, énervé d'une telle prise d'initiative de la part d'un jeunot comme lui. Il ne supportait pas qu'on vienne interrompre ses interrogatoires, c'était lui le chef dans cette pièce. L'inspecteur se sentit de nouveau très mal à l'aise mais cette fois il ne céda pas devant le regard perçant de la femme. Cette dernière semblait de plus en plus intéressée par ce jeune homme fraîchement sortie de l'école de police, bien coiffé et habillé à l'épingle. Il n'attendait qu'une seule chose, montrer qu'il était capable de devenir lieutenant, voir même bien plus. Dirk Thomas avait de l'ambition c'était un fait.