CHAPITRE 1

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Il n'était pas plus tard que 7h lorsque la cloche de l'église du village se mit à retentir au loin. Je me levai et regardai par la fenêtre embuée. La pancarte où est inscrit "Bienvenue à Dulwich" était remplie de neige et le brouillard empêchait de distinguer toutes les lettres. Les réverbères encore allumés réchauffaient le village d'une couleur douce et orangée. Le soleil se levait à peine.

Je me prépare un thé et des toasts à la marmelade d'orange avant d'allumer la radio. "L'hiver vient! En ce 23 décembre 1983, les températures ne cessent de chuter!" foutue météo. J'enfile mes bottes, mon manteau et mon béret avant de mettre mon violon sur le dos et de partir prendre le bus. Mes pieds sont gelés. Le bus est en retard et mes mains sont frigorifiées. De la buée se forme sur mes lunettes. Alors que je suis en train de trembler, le bus arrive enfin. Evidemment, il est plein à craquer et je n'ai pas de place assise. Je tente tant bien que mal de garder mon équilibre et de faire attention à mon violon. L'enfant à côté de moi ne cesse de jouer avec les fermetures de la boîte et mon instrument menace de tomber plusieurs fois. Courage Alice, plus que 3 arrêts. Maudite conscience. Plus facile à dire qu'à faire.

Je respire enfin! L'air frais m'emplit les poumons. Avant même de rentrer dans le Trinity College of Music situé à Londres, Eliza et Amy me sautent dans les bras. Je suis si heureuse de les voir. Les vacances de Noel paraissent longues sans elles. Nous entrons dans le hall. Amy avec son violoncelle, Eliza avec ses partitions de Rachmaninov et moi avec mon violon. Nous filons la parfaite harmonie. Après avoir dit bonjour à tout le monde, je m'installe à ma place et accorde mon instrument. Malheureusement, je ne suis pas le premier violon. Celui qui ma volé la vedette, c'est Félix. Manque de chance, c'est mon ancien petit-ami. Fichue loi de Murphy! Ma conscience boue intérieurement. Non, je ne suis pas jalouse. Bon daccord, il y a sans doute un brin de jalousie. Avant de commencer les morceaux, il me jette toujours un regard narquois et fier et je me retiens pour ne pas briser son violon. Ca me ferait bien trop de peine. Enfin, pour le violon. Alors que je marmonne des insultes à son égard, Monsieur Henderson, notre chef d'orchestre, arrive sur scène et tape trois fois de sa baguette sur le pupitre. Violon sur lépaule, il commence à nous diriger avec ses éternels gestes gracieux. Eliza est assise au piano tandis que Amy tente de déchiffrer sa partition et suivre le rythme tant bien que mal. Sacrée Amy, elle fait toujours les choses à la dernière minute. Aujourdhui, nous répétons le piano concerto no 2 opus 18 de Rachmaninov avant denchaîner avec Mozart ou encore Schubert. Je ferme les yeux pour mieux ressentir les vibrations de mon violon et je me perds très vite dans ma musique.

Après la répétition, nous décidons daller boire un thé au café du coin. Nous nous installons près de la fenêtre et regardons la neige tomber dehors. Depuis ce matin, elle ne cesse de tomber et la route en est remplie. Cest un grand paysage blanc qui se dresse devant nous et je me sens soudainement en paix avec moi-même.

Alors que jétais encore en train de rêvasser, la serveuse m'arrache à mes pensées en posant la tasse fumante devant moi. Le thé est en train d'infuser. Amy a opté pour un chocolat chaud à la cannelle et Eliza a commandé une tartelette à la pomme en plus. Eliza et Amy, je les connais depuis toujours. Nous avons grandi et joué de la musique ensemble. Eliza a déménagé le mois dernier. Elle n'est donc plus dans la même école. Je me retrouve donc seule avec Amy et Henry. Henry, cest mon meilleur ami. Je suis née le même jour que lui et nous partageons les mêmes centres d'intérêts. Je l'adore. Il a toujours le mot pour rire.

Depuis ma plus tendre enfance, je nai jamais été très sociable. Je suis en cinquième secondaire à LUniversity College de Londres. Les gens là-bas, je ne les apprécie guère. Jai toujours eu limpression dêtre une étrangère dans cette école. Heureusement que Amy et Henry sont avec moi.

Je joue de la musique depuis mes 5 ans. Le piano, c'est ma voisine qui me l'a appris. Lorsque je rentrais de lécole, je la regardais jouer à travers la fenêtre. Elle avait une souplesse et une douceur incroyable. Qu'il vente ou qu'il neige, je passais des heures devant sa maison à écouter chacun de ses morceaux. Et un jour de forte pluie, alors que j'avais mon ciré jaune sur le dos, elle me surprit en train de l'écouter et elle m'invita chez elle. Au coin du feu, elle me donnait souvent des biscuits et un chocolat chaud. Nous nous blottissions dans la canapé en regardant le feu crépiter et nous parlions jusqu'à pas dheure. Elle m'a appris toutes les techniques et secrets qu'il faut savoir au piano. A présent, je croule sous les meilleures partitions. Mais aujourdhui, cette petite fleur du piano s'est fanée et a rejoint les étoiles. Elle navait que 35 ans.

J'ai une grande sur, Hazel. Elle est à L'Imperial College London pour devenir médecin en oncologie. Suite au décès de notre grand-père atteint d'un cancer des poumons, elle a décidé de se lancer dans ces études. Et j'ai aussi un petit frère, Léon. Il vient d'avoir trois ans et c'est une vraie pile sur patte. Nous vivons dans le paisible village de Dulwich dans un manoir au début de la rue. Notre famille est assez aisée. Ma mère, Helen, est cardiologue et mon père, Edward, est neurologue. Ils ont tous les deux fait leurs études en Californie. C'est dailleurs là-bas qu'ils se sont rencontrés et où Hazel et moi sommes nées. Nous avons déménagé lorsque javais deux ans et nous retournons régulièrement là-bas pour voir nos amis.

C'est ma grand-mère qui ma donné l'envie de jouer du violon. Lorsque j'allais chez elle, elle me faisait écouter des concertos pour violon. Et c'est quand j'ai écouté La Chaconne de Bach pour la première fois que j'ai décidé de jouer de cet instrument. A présent, je tente de lui faire honneur en mettant le plus d'émotions possible dans mes morceaux. Ma grand-mère aussi est décédée. Mais, je sais que de là-haut, mes grands-parents veillent sur moi et ma famille.

J'ai toujours voulu vivre dans une autre époque. Celle de Mozart par exemple. Parfois, le monde est si cruel avec moi que j'ai l'impression d'être coincée dans la mauvaise époque. Il y a cette porte inter-dimensionnelle qui me sépare de mon monde parfait. Un monde relativement ancien mais où la musique et l'écriture demeurent. Pour moi, ces deux choses sont le seul espace de liberté absolue. J'ai toujours aimé écrire. Etant petite, j'écrivais des poèmes et des lettres pour Maeve, ma voisine. Et maintenant, je tente d'écrire un roman sur ma petite vie paisible. Enfin, presque. Mais ça, je ne le savais pas encore. Même si la plupart des gens me disent que j'ai une bonne plume, je ne suis jamais satisfaite par mes écrits. Je n'arrive pas à mettre la joie sur papier. C'est toujours la tristesse qui en ressort. Sans doute parce que j'ai envie de m'en débarrasser pour avoir moins mal. Je n'ai pas non plus une vie désastreuse mais les moments de joie, j'ai envie de les garder au plus profond de moi.

L'obscurité de la nuit memporte en 1761, au temps de Mozart. Une époque fastueuse entre les opéras et l'écriture à la plume. Je compose mes pensées à travers cette époque et le son des violons. Les rêves sont mes seules pensées positives. Un monde sans Félix et sans ennuis. Pour tout vous dire, je suis sortie avec Félix pendant 6 mois. Il ma trahie. C'est depuis ce jour que je suis triste. Non pas parce que la rupture a été difficile. Je lai vite oubliée. C'est juste à cause de cette trahison. Surtout qu'aujourd'hui, il me pourrit la vie avec ses copains. Pour oublier, je compose. Après tout, les compositions ne sont que l'ombre de nos émotions.

La nuit, lorsque je suis dans mon lit, je pense à la personne que je suis. Une Alice au caractère fort mais qui est si naïve. Je ne dois plus me laisser marcher sur les pieds. La blessure est bien trop forte. A présent, je marche vers l'avenir en levant les pieds.

Ce garçon me pourrit la vie sans s'en rendre compte. Si seulement il pouvait se sortir les yeux de la tête pour voir que le monde ne lui appartient pas. Il est si imbu de lui-même que ça en devient barbant. Beaucoup de personnes me disent que je dois tourner la page. Croyez-moi, c'est ce que jessaie de faire mais la plaie est trop récente que pour la recoudre.

En réalité, plus jessaie d'avancer dans ma vie, plus Félix me hante et me fait tomber. C'est comme si je tourbillonnais dans un cercle amoureux. Plus j'essaie de me débattre, plus le courant m'emporte et je m'échoue inconsciente. Je suis bloquée dans une bulle aux parois incassables. Ce sentiment m'envahit tout le temps. Mais j'y fais fasse tant bien que mal et mes amis et ma famille sont là pour moi.

La pierre des ténèbres Où les histoires vivent. Découvrez maintenant