Rien. Rien que ce bruit incessant. Rien que ces mots qui s'impriment. Ils m'obsèdent, encore et encore sans que je sache... Je ne sais pas où je suis, où je vis. Suis-je seulement quelque part ? Tout est difforme et épuré, d'un blanc vierge, immaculé et inquiétant. Je voudrais dormir. Mais je n'en ai pas besoin. Je voudrais me sentir. Mais je n'y arrive pas. Je voudrais... Ce frisson de peur. Je voudrais avoir peur. Pourtant, dans cet inconnu, je suis parfaitement calme. Mon esprit est terriblement détendu. Mais il y a une chose. Cette seule chose capable de retenir toute mon attention dans ce monde sans vie et sans couleur. Ce seul son, assourdissant ; fait vibrer ma conscience tel le déroulement d'une pellicule de film dans un rythme régulier et hypnotisant.
Je n'ai que cette image. Cette clarté aveuglante où je n'existe plus, où je ne suis pas. Il n'y a rien autour de moi, je ne suis rien et pourtant, je suis. « La seule chose que je sais, c'est que je ne sais rien. » De qui était-ce, déjà ? Ces mots retentissent dans mon âme comme une vérité incontestable. Elle me place face à cette immensité indicible et ma propre ignorance. Et pourtant, j'essaie encore désespérément d'y apposer des mots. Des mots, des mots et encore des mots que pourtant, je n'arrive pas à comprendre et qui me confondent sans arrêt en conjectures. Est-ce donc cela, la mort ? Pas de paradis, pas d'enfer, pas de réincarnation, juste l'abysse profonde de l'oubli...
Je suis vide. Vide de tout ce qui ferait de moi un être. Et pourtant, je suis là. Peut-être bien suis-je seulement ce tintamarre qui marque vainement chaque seconde qui s'efface et qui comme tout, n'est rien. Je n'existe que sur cette page blanche, spectateur de ma propre âme, de ma propre pensée imaginaire. « Je pense, donc je suis. Je pense, donc je suis. Je pense, donc je suis. » Cette affirmation se répète inlassablement dans ma tête. Mais que suis-je, donc ? Qui suis-je donc ? J'ai beau essayer d'agir, aucun son ne vient troubler le clic-clac infernal de la machine à écrire.
Peu à peu mon monde s'assemble et se désassemble dans le mouvement perpétuel des points noirs. Les mots s'amoncellent, s'enchevêtrent et prennent vie tel un poème d'Apollinaire. Ce sont des pages qui se tournent à une vitesse effrénée. Elles font de moi ce spectateur intouchable dont le seul rôle est de témoigner de ce phénomène inexplicable. Apollinaire... Il s'est manifesté à moi comme une certitude. Une évidence telle qu'il me trouble davantage. J'ignore si cette valse de mots prend réellement un sens. Un sens autre que le commencement.
Je ne peux pas m'imaginer exister. Je ne suis même pas sûr d'être mort. Et pourtant, ce monde semble ne tenir qu'à une seule et unique vérité. Tout ce que je pense s'écrit. Tout ce que j'écris prend forme. Assurément, au commencement de tout monde est le verbe. Tout est irréel, tout est rien. Et je suis ce monde. Sans rien être d'autre...
Et en une explosion, je prends vie. Ce sont des pages qui s'envolent à une vitesse endiablée et bourdonnent de mots rebondissant à leur surface, en perpétuel mouvement. C'est un feu d'artifice de caractères qui se mélangent à la fois dans l'incertitude et la conviction. A ce moment-là, plus rien ne m'importe. Je peux être ou ne pas être, les mots seuls vivent. Je suis seul. Seul avec les mots. Ceux qui se pensent, ceux qui s'envolent. Je n'existe que pour eux et ils n'existent que pour moi. En un éclat, ils créent mon monde, ils le dessinent, ils le construisent. Ce sont des structures verbales de noir et de blanc qui s'opposent et se complètent. Mon esprit n'avait jamais été aussi clair. Toutes ces formes et toutes ces ombres sont un spectacle tellement fascinant et c'est en ce monde que je me fais corps. Un nez, au détour d'une bouche rencontre le front se creusant en deux yeux, et finalement, créent le visage; façade de mon âme, façade de l'univers.
Je me sens revigoré, animé d'une force nouvelle. La force d'exister. J'ignore encore les mystères derrière ce clin d'œil, derrière mes poils qui se hérissent, derrière ma main qui se referme. Je me touche le visage. Cette sensation de fraîcheur, cette bourrasque de papier qui me frappe, cette électricité qui me traverse jusqu'au bout de mes doigts... Tant de choses irréelles dans ce rêve tout vêtu de noir et de blanc. Je ressens; happé par cet univers étrange. Les couleurs défilent à toute allure, traçant leur route tourbillonnante partout autour de moi. Ce sont des teintes chatoyantes de vert et d'or, des lumières et des ombres.
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Le Temps de nos rêves - Nouvelles.
Historia CortaPetits textes issus de mon imagination qui construisent peu à peu mes projets d'histoire. Personnages oubliés, anonymes en proie aux tourments du drame de leur existence: eux-mêmes. Leurs sensations, leurs voeux, leurs souhaits et leurs déceptions...