Huit heures cinquante-cinq. L'horaire clignotait sur le portable. En proie à une véritable guerre contre le sommeil, la sonnerie ne laissait aucun répit depuis une demi-heure. Toutes les cinq minutes, arme enclenchée, elle mettait en marche les trompettes de l'attaque afin d'ouvrir les yeux de Nalie. Mais celle-ci était la digne héritière des maquisards. Se cachant dans les traboules de sa couverture, elle déjouait chaque piège de lumière avec malice. Tombé au combat, son oreiller avait été pris en bouclier contre le son. Malheureusement, telle la plus intrépide des résistantes, dans un dernier duel où résidait l'espoir de liberté du sommeil et par la même occasion l'espoir de se rendormir, elle fit front à la sonnerie et la mit à terre avec le bouton stop. Mais il était trop tard. Le réveil avait gagné cette bataille.
- Je t'aurais un jour... Grommela-t-elle la tête enfouie sous la taie.
Un grondement surgit et tel un ours sortit trop tôt de l'hibernation, la jeune femme émergea de dessous sa couette. Des cernes se dessinaient sous ses yeux, des traces d'oreillers marquaient ses joues et on pouvait distinguer un filet de bave séchée du côté de sa bouche. On était loin de l'image du petit bourgeon floral s'éveillant à la lumière. Non. On était plutôt sur l'expression "avoir la tête dans le cul" mais après une bonne grosse gastro.
Le toc toc toc familier tempêta à la porte d'entrée.
-Nalie ! il est neuf heures dix !!
La maquisarde vaincue, semblable à une somnambule, ouvrit la porte.
- Cette porte va devenir ma meilleure amie à force ! ironisa Mathilde. Oh le joli filet de bave... rajouta-t-elle en fermant la porte.
Nalie, dont le cerveau n'était pas encore connecté, ne prit pas peine de la remarque et se dirigea vers la cuisine pour faire chauffer de l'eau. Mathilde pendant ce temps là, s'affala sur le canapé en prenant soin de pousser du bout des doigts les mouchoirs usés.
Il lui fallait un bon thé afin que son cerveau sorte de sa torpeur, sinon Nalie pouvait être la pire des empotées ou ... Des aveugles. Elle prit donc la bouilloire, la plaça machinalement entre le pot de confiture et le beurre et en retira à la place les biscottes. Elle remplit une casserole d'eau puis la posa sur le réceptacle de la bouilloire.
Attendant hypothétiquement que ça chauffe, elle se traîna ensuite dans la salle de bain et commença à se brosser les dents avec le pinceau à mascara. Ses yeux encore endormis ne firent pas attention lorsqu'elle posa une noisette de gel douche intime dans sa main et se débarbouilla le visage. Puis pour parfaire à ce combo de morning "lositude", elle prit le tube contre les mycoses croyant être sa crème hydratante et s'en tartina une bonne couche. Voila. On y était. On avait atteint le point de non retour.
Mathilde entra dans la salle de bain.
- Hey quatre cent quatre error ! Tu peux attendre longtemps que ton eau ch... C'est moi ou tu viens de te tartiner de la crème pour mycose sur ta tronche ?!
- Mnié... fut la seule onomatopée que Nalie put sortir dans l'état dans lequel elle se trouvait.
- Bon allez tu sais quoi ! Tu es aussi cute qu'un chat qui mange son vomi ! On ira se prendre un bon thé au Starbucks, habille toi juste ! ordonna Mathilde le regard désespéré.
Nalie, complètement dans le brouillard, ne se fit pas prier et alla dans la chambre pour se vêtir.
Vingt minutes s'était écoulées lorsque Mathilde fit irruption dans la pièce.-Mais qu'est-ce tu fabriques ! s'étonna son amie en ouvrant la porte à la volée.
Elle s'arrêta net et réprima un fou rire. Nalie était étalée sur son lit de tout son long en mode concombre des mers. Ronflant tel un lamantin enrhumé, elle s'était rendormie sur le ventre dans une position ubuesque. Les jambes dépassant du lit, une chaussette à moitié mise, on pouvait néanmoins admirer l'effort dont elle avait fait preuve en ayant tenté de mettre son sweat-shirt. Apparemment son énergie s'était arrêtée à hauteur des coudes et seule la bouche dépassait du sweat tandis que celui-ci retenait prisonniers ses bras tendus. Mathilde esquissa un petit sourire diabolique et en toute bonne meilleure amie dégaina son portable pour prendre une photo qu'elle incorpora immédiatement dans le fichier dossier compromettant. Décidément les ruptures offraient les meilleurs clichés pour ce genre de dossier.
- On se réveille !! cria sans regret Mathilde
Nalie sursauta et ses bras coincés gesticulèrent en signe de vie... Elle roula pour se retrouver sur le dos puis s'assit, les bras toujours en l'air et la tête coincée dans le sweat.
- Je te préviens math', grommela la prisonnière. Je te connais, si tu m'as prise en photo, je reviendrais me venger même après ma mort !
- Ce n'est pas du tout, mais du tout mon genre ! feignit la concernée au sourire machiavélique.
Nalie, dont le cerveau s'était enfin réveillé, finit donc de s'habiller. Un simple jogging/sweat/baskets faisait très bien l'affaire. Confortable et pratique à souhait.
Mathilde, bloggeuse mode bien connue des réseaux sociaux, fut atterrée de cet accoutrement. Certes son amie avait l'excuse de la rupture. Dans ces moments là, le détecteur de bon goût se voit jeté à la poubelle tandis que le kitsh et la nonchalance nous envahissent. Mais un minimum bon sang ! Qu'elle coordonne au moins les couleurs ! Rouspéta Mathilde intérieurement. Elle ne savait pas ce qui était pire, le pyjama licorne ou ce jogging rouge avec ce sweat Pacman jaune qui lui piquaient les yeux.
- Tu as la grâce d'un rhododendron meuf ! Bon allez c'est bien ! On y va ! Go go go ! pressa Mathilde en se félicitant de n'avoir rien dit d'horrible sur la tenue.
Prenant à la va-vite le sac à dos de sa meilleure amie où se trouvait les papiers et l'argent, elle poussa vers la porte d'entrée une Nalie aussi motivée qu'une enfant allant chez le dentiste.
Refermant la porte dans un claquement sourd, elles étaient enfin parties.
Dix heures quatorze se reflétait sur l'écran du portable.
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Un Ski après l'autre
Chick-LitSe faire larguer par son mec, c'est sûr, ça ne fait pas du bien. Certaines le prennent avec dignité et remontent la pente puis d'autres comme Nalie prennent la pelle pour creuser encore plus profond. Elle, c'est le genre de future trentenaire au fon...