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(prologue)Tout (ce tout concernant l'été de mes seize ans dans son entièreté, incluant la stupidité d'Agathe, la totale décadence de Bettina et plus généralement mon effrayante perte d'intelligence) a commencé d'une manière super nulle, comme si la suite et la fin n'étaient pas déjà elles-mêmes suffisamment nulles.
Il était minuit et j'étais assis à l'arrière de la voiture de mes parents à côté de ma sœur Agathe, j'écoutais de la musique avec des écouteurs qui marchaient seulement dans une certaine position très complexe du fil, et on était en train d'arriver au Manoir pour y rester tout l'été.
La vitre de ma portière était baissée dans l'espoir de laisser passer de l'air frais, parce que la clim de la voiture était cassée, sauf qu'en fin de compte ça avait juste permis à un milliard de moustiques d'entrer, mais : est-ce qu'il valait mieux mourir dévoré par des moustiques, ou étouffé dans une voiture par la chaleur ? - la première option était la bonne, bien sûr, rien que pour l'heure qu'avait passé Agathe à me hurler de fermer la vitre parce que le vent la décoiffait. Premièrement, il y avait strictement zéro vent, deuxièmement, Agathe avait des cheveux décoiffés peu importe la situation, et troisièmement, elle était incroyablement irritante. Ça faisait trois bonnes raisons de faire semblant de ne pas l'entendre à travers mes écouteurs.
On venait d'arriver sur la route principale du village et on s'apprêtait à longer le port, ce qui signifiait qu'on allait arriver au Manoir d'une minute à l'autre, et c'était chiant parce que perspective d'arriver m'était tout aussi répugnante que celle du trajet en voiture. Le Village était une petite bourgade saisonnière paumée, style 100-habitants-l'hiver et 20000-habitants-l'été, entre deux calanques méditerranéennes et trois champs de vignes à l'abandon, et le Manoir était, comme son nom l'indiquait, un manoir du dix-huitième siècle que nos ancêtres avaient racheté et rénové avant que les maisons du bord de mer deviennent trop intéressantes et trop chères. Maintenant, la maison appartenait à ma tante, son mari et son horrible fille Bettina, et toute la famille s'y réunissait chaque été. Depuis ma naissance. Ils disaient que c'était une question de tradition. Ils mentaient. En vérité, c'était l'enfer sur terre.
— Camille, je t'annonce qu'en tant que grand frère, tu as le devoir instantané de me passer le chargeur parce que mon téléphone vient de s'éteindre, a déclaré Agathe alors que j'étais en train de pensivement et dramatiquement observer la nuit noire et croyez-moi, j'avais lu des tas d'histoires et c'était certainement pas comme ça que la mienne était censée commencer.
Je me suis retourné vers elle pour l'observer. Il faisait trop sombre pour que je puisse voir son visage, mais sa main était tendue entre nous deux, comme si elle s'imaginait vraiment que j'allais, moi, Le Grand Camille, lui rendre un service.
— Non, je me suis contenté de dire en reportant mon attention sur le paysage.
En fait, il faisait aussi trop sombre pour que je puisse voir le paysage, mais une nuit noire restait toujours plus intéressante que ma sœur.
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L'AUBE DES DERNIERS
Teen FictionC'est l'été et comme d'habitude Camille et sa famille s'installent dans leur maison de vacances ; les calanques, les cigales, le ventilateur dans la chambre, les moustiques, la piscine, les soirées sur la plage et le grand manoir dans la langueur de...