Partie II

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Une fois de plus, Coyle tenta de tendre l'oreille pour écouter ce qui se disait au conseil, mais peine perdue. Il décrochait inlassablement. Autour de lui, les conseillers s'époumonaient les uns contre les autres, sans remarquer que leur roi ne leur prêtait plus aucune attention. Sans s'en cacher d'ailleurs.

-Il nous faut répondre par la force ! S'écria Curtis à sa gauche.

-Certainement pas ! Leur armée nous mettrait en déroute en seulement quelques semaines. Répliqua Duncan à l'autre bout de la table.

En dehors de Logan, il s'agissait des deux hommes en qui Coyle avait le plus confiance. Meilleurs amis de toute évidence en dehors des affaires du royaume, ils n'avaient jamais les mêmes opinions politiques, ce qui rendait leurs interventions très intéressantes.

-Pas si nous adoptons le bon plan d'attaque, le contra Curtis. Ils sont toujours réglés sur le même modèle d'attaque, il y a moyen de les mettre en déroute.

-Des 9 royaumes il s'agit de celui qui possède la plus grande armée, même si nous arrivons à les surprendre ne serait-ce que quelques jours, ils auront vite fait de reprendre le dessus. On ne peut pas compter là dessus.

Coyle en avait assez. Assez de débattre d'une guerre dont il se fichait. Il n'était même pas sûr d'avoir réalisé ce qui se passait : au fond de lui une partie devait le savoir, mais il avait l'impression que l'ensemble de son être rejetait cette idée. Parce que une seule chose comptait. Ce qui s'était passé la veille.

Quand le soldat était entré en vociférant la nouvelle, il avait senti le temps se multiplier par cent. Tout s'était figé, pour qu'il ne reste plus que l'erreur fatale commise par le garde : ce « majesté » qui avait frappé Karmen comme un coup de poignard. Elle ne savait pas, il en était sûre. Ses yeux écarquillés ne pouvaient pas avoir menti : elle semblait presque le supplier de démentir ce qui venait de leur tomber dessus à tout les deux – car c'était bien sur tout les deux que cette nouvelle avait eu un effet dévastateur.

Mais il n'avait pas pu. Il avait détourné les yeux au prix d'un effort surhumain, pour signifier au garde qu'il pouvait quitter la chambre : l'information avait été délivrée, lui reprocher son appellation respectueuse aurait été inutile et déplacé. Lui seul était en tord à ce moment là. Il s'était enfermé dans son mensonge pour ne pas détruire ce qu'il avait construit avec Karmen, et devait à présent en assumer les conséquences.

Plusieurs fois, il avait songé à tout lui dire : elle connaissait toutes ses zones d'ombre – du moins la grande majorité – et lui dire que Coyle était un diminutif de Nicholas qu'il avait inventé par précaution la première fois qu'il l'avait vue... Ce n'était pas insurmontable. Du moins c'était ce qu'il croyait – ou espérait.

Parce qu'il avait vu son cœur se briser au travers de ses yeux verts lorsqu'elle avait compris : comme s'il y avait eu un déclic. Elle avait d'abord refusé de le regarder dans les yeux, comme toutes les personnes de ce royaume. Oh mon dieu un roi baissons les yeux ! Il savait qu'il devait être craint et respecté, mais être ainsi isolé des autres devenait difficile à vivre au bout du compte.

Karmen lui avait permis de revivre quelques mois, en étant cette femme hors du commun qui lui avait ouvertement fait comprendre qu'elle se fichait des apparences. Elle restait elle-même en toutes circonstances, et n'avait pas peur d'ouvrir sa bouche pour défendre son opinion. Et ce avec plus de hargne que quiconque. Les premières fois, il avait halluciné, et s'était demandé sur quel genre de folle il avait bien pu tomber.

Puis il s'était mis à apprécier leurs joutes verbales, jusqu'à aller les provoquer. Il savait qu'il détournait le temps ainsi, en mentant sur son identité, mais avoir quelqu'un à ses côtés qui le considérait juste comme un homme...C'était tout ce qu'il demandait. Il n'avait jamais voulu de tout le reste.

Un Masque De VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant