Numéro 09

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Le vent lui tailladait le visage. Il lui était impossible de distinguer ce qui se trouvait aux alentours. Et, soit il était un sprinter accompli, soit il avait des jambes extraordinairement agile pour réussir à se déplacer à une allure aussi vive. La respiration haletante et la douleur de l'effort formaient un tout, empêchant le pauvre homme de réfléchir avec discernement. Ce qui l'amena brutalement contre un arbre. Il resta sonné une dizaine de secondes. Puis se releva avec une rapidité totalement insoupçonnée, pour un adulte en surpoids.

Il courait depuis longtemps, beaucoup trop longtemps. L'aube ne tardera pas à poindre. Il eut une soudaine montée d'adrénaline, et se mit à accélérer le rythme de la course en effectuant de petites enjambées. Le vent semblait vouloir s'amuser avant les premiers rayons du soleil ; il devint bourrasque pour une courte durée, s'acharnant sur le malheureux. Ce dernier ne pouvait compter sur rien d'autre que de modestes habits en tissus, inefficaces pour protéger de l'agresseur.

Il arriva dans une vaste clairière. La lune propageait encore de la lumière, étant l'unique éclairage de cette nuit de décembre, sur l'herbe mouillée. Devant l'homme un paysage se dessina : des fleurs translucides dansaient en ignorant l'étendue verte autour, de petits oiseaux voletaient çà et là, sans doute à la recherche de nourriture.

L'homme ne s'attarda que très peu sur ce qu'il voyait, malgré la rare beauté du spectacle il devait se dépêcher ; encore un peu et il serait sauvé. Il continua sa course effrénée.

Il atteignait un immense tronc lorsque le vent décida de reprendre son souffle. Profitant de cet instant de répit, l'homme tomba sous le charme de l'arbre a quelques pas de lui ; il était si grand qu'il semblait caresser les nuages, et ses branches, fines comme des brindilles, caressant le ciel nocturne. Il devait reprendre son souffle. Courir frénétiquement n'avait pas que des avantages, outre le fait de fuir. Soudain, suite aux mouvements de son corps lors de la respiration, il sentir une douleur à l'abdomen. Il souleva son T-shirt, et découvrit quelque chose de surprenant  ; pas de peau recouvrant un corps graisseux et blanc, non, plutôt une étrange tache grise qui s'écaillait au contact de l'air. Une multitude de sentiments le traversa et, en une fraction de seconde, ce fut la peur qu'il affichait sur son visage bouffi.

Après un arrêt qui lui semblait avoir duré une éternité il reprit sa course.

Il fit un pas, puis deux, et enfin s'arrêta, net. Figé, il lui était impossible de faire le moindre geste. Un frisson parcourut son corps de haut en bas, de bas en haut, et une nouvelle fois de haut en bas. Pour lui tout n'était que rêve. Alors quand l'air devint glaciale, que les frissonnements de chaque partie de son corps s'amplifièrent, et qu'il n'eut pour seul réflexe que d'uriner, alors à ce moment précis il  perdit non seulement sa dignité, mais également sa vie.

Derrière l'homme, un inconnu.

- Trouvé !

L'homme se retourna, les yeux pleurant des larmes de sang. Il regarda l'inconnu. Il savait que tout ce qu'il venait d'entreprendre n'avait pour seul objectif que de le fuir. Et cela l'avait conduit dans un guet apens ; il était tout à fait impossible de se cacher dans la clairière. Les deux hommes se préparaient à remplir les dernières clauses du contrat.

- Belle soirée pour mourir...

Le vent claqua contre l'arbre.

- La ferme !

Étrangement, l'homme était impassible, dissimulant ses émotions. Il n'avait ni peur ni n'était en colère. L'inconnu fit un seul pas, cela avait suffi à déstabiliser l'homme en face de lui qui, malgré un grand effort pour paraître normal, sortit de sa torpeur avec un rictus au visage. Les doigts tremblant il s'attaqua à son haut de corps, le déchirant. Et une photo en tomba ; c'était un très vieille photo, mais on pouvait très bien voir sa femme se tenant le ventre, enceinte, et son fils. L'homme aimait sa famille.

- Tu m'auras fait courir petit lapin.

L'homme s'écroula, les membres mous. Son thorax embrassa amoureusement le sol, on aurait dit la réunion entre deux vieux amis. Une flaque de sang se formait au niveau de son cou. Son corps entier convulsa encore quelques seconde dans le liquide malsain. Avec l'aide d'une faux, venant se loger entre les omoplates, le corps entier se figea.

L'inconnu ramassa la tête qui s'était égarée et la lança vers l'arbre. La tête coupée effectua un vol d'une précision étonnante jusqu'à la cime du géant de bois, où elle s'accrocha.

L'homme encore debout rangea son arme ; son travail venait de se terminer. Néanmoins il refusa de bouger, savourant les délices de ce qui venait de se dérouler. Il jubilait tellement que ses jambes se dérobèrent. À terre devant lui, la photo de l'homme ; il la ramassa. Au moment de se relever l'inconnu eut une pensée horrible.

Il allait pour sortir de la clairière quand il se stoppa.

- On va bien s'amuser, jeunes gens.

Il y eut un rire strident. L'inconnu se léchait les lèvres avec délectation.

Ce meurtre était le premier d'une longue série...

Plume NoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant