Plume Noire

Projet numéro 00

Minuit venait de sonner. Il faisait sombre, et une personne normale ne pouvait pas voir correctement dans de telles conditions, mais pour moi, la situation était différente. Je m'avançais, doucement, et tous mes gestes, quoique imperceptible dans la nuit hivernale, me paraissaient ralentis. Je n'arrivais plus à distinguer où je me situais dans la forêt ; soit le petit parc qui est normalement rempli d'enfants jouant dans les installations, soit l'aire d'installation sportive. Ne sachant que faire, je continuais à marcher d'un pas soutenu vers une petite lumière. Je retins un cri étouffé ; devant moi un lampadaire se tenait fièrement, me surprenant de par sa forme tordue. On aurait dit qu'il allait me prendre entre ses griffes de métal, ce qui renforçait l'impression que j'avais de l'objet : menaçant et sinistre. En continuant ma route, je laissais derrière moi l'objet difforme.

Plus j'avançais, et plus d'étranges sensations commençait à apparaître en moi ; ce devait être la folie, me permettant de remarquer que certaines marques de peintures sur les arbres étaient fluorescentes. Déconcerté je continuais ma route vers je ne sais où.

Presque une minute après mon étrange découverte je l'entendis. Un ricanement déchirant le silence nocturne, si terrible que je ne voulus en aucun cas découvrir de qui il provenait. Je me baissa machinalement, un réflexe pour me sentir invisible. Et je me mis à inspirer fortement, puis à expirer ; mon coeur était le seul son perceptible, il faisait BOUM BOUM, et parfois accélérait son rythme sans aucune raison.

- Je pense que j'ai eu une belle vie : une femme avec deux petite filles absolument magnifiques, une maison et des voitures qui ne sont même plus en vente, ainsi qu'un job de rêve près de la plage. Mais alors pourquoi ? Pourquoi est-ce que je dois trouver cette chose ?

Ma mâchoire s'ouvrit en un petit interstice, de plus en plus grand, avant d'émettre un rire nerveux. Je venais de comprendre. La folie avait dû s'emparer de mon être ; les marques de tout à l'heure je les avais vraiment vu malgré mon handicap, j'avais également rencontré un lampadaire monstrueux. Et à l'instant, le rire que je venais de lâcher, était comparable à celui que j'avais entendu.

Mais... impossible!

Je me tenais toujours accroupi ce qui m'obligeais à me relever, lentement.

- La chose se tient devant moi, grande et mince. Je me demande comment, et pourquoi, surtout pourquoi. Je suis malvoyant, alors diable, pourquoi est-ce que je peux la voir normalement ?

Soudain, le monde s'engouffra dans la plus sombre de toutes les nuits. Je sentis un frisson, et pas à cause du froid environnant, puis une perle de sueur glissa dans mon dos, embrassant mes courbes.

- Serais-je devenu aveugle ?

Il y eut un râle proche de mon oreille gauche, trop proche. Et je me perdis dans une substance pire que les ténèbres ; je ne sentis que de la viscosité autour de moi. Je mis suis repris une, deux, et enfin une troisième fois pour échapper à cette attraction visqueuse et repoussante.

Ensuite le néant. Rien.

Une rêve. Comment ai-je fais pour ne pas m'en rendre compte ! Quel idiot je peux faire parfois ; pourtant mes pensées , aussi négatives soient-elles, s'accompagnent d'un léger soulagement.

J'avais réussi à fuir la chose, et encore après la substance étrange qui me faisait prisonnier. J'avais réussi à échapper à cet horrible cauchemar.

- Finalement, je pense que je vais continuer à vivre. Mon père ? Merci mille fois, je vous en serai éternellement reconnaissant.

Cependant je me baignais dans une flaque de sueur. Dégoûtant. Je me mis sur les coudes et regarda le réveil au fond de la pièce ; j'étais dans ma chambre, avec les figurines de lampadaires miniatures, les pots de peinture fluorescente, les maquettes de parc et les masques de démons pour mon prochain rôle dans un film, un ensemble de plâtre peint en rouge et noir. Il était trop tôt pour se lever. Je me mis à pousser un léger soupir.

- Harry...

Une voix ? Je me retourna. Et ce fus mon dernier geste en ce bas monde.