Derniers rites

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Le silence était pesant. Rien ne le perturbait. Rien ne le pouvait. Aucune brise ne soufflait sur les forêts d'Orneval. Les bois avaient cessé de vivre, jusqu'à ce que les oiseaux eux-mêmes arrêtent de chanter pour respecter ce calme plat.
Ce silence n'avait rien de confortable. Il portait le poids du deuil et marquait les derniers rites que les elfes s'apprêtaient à donner au défunt.
Ils étaient peu et se comptaient sur les doigts d'une main. Sombres silhouettes encerclant un bûcher de fortune. Il n'y avait ni pleur ni lamentation, et tous respectaient ce silence morbide.
Ces elfes étaient uniques en leur genre : lacérés de toute part, vêtus de quelques légers tissus en lambeaux et marqués d'étranges tatouages parcourant leur torse exhibé à l'air libre.
Des glaives en forme de double-lames étaient accrochés à leur dos et un bandeau d'étoffe voilait leur regard.
Des chasseurs de démons. Parias aux yeux de leur peuple, mais héros au fond de leur être.
Ils avaient tout abandonné pour devenir ce qu'ils étaient et aucun sacrifice n'était trop grand pour atteindre leur objectif.
L'un d'eux se distinguait des autres de par sa taille et sa stature. Sa peau était sombre et écailleuse, des cornes siégeaient sur sa tête, une fine queue velue s'étirait de son coccyx et des sabots de bouc lui servaient de pieds. Etait-ce réellement un elfe ? Cette question lui traversait fréquemment l'esprit.
Il s'approcha du bûcher funéraire qui n'était pas encore allumé, et se tourna vers le sombre comité.
On pouvait déceler deux lueurs verdâtres à travers son bandeau, prenant la place de ses orbites vides et tournoyant étrangement en donnant l'impression qu'il s'agissait de son regard, balayant lentement l'assemblée et jaugeant chacun des chasseurs présents.
Subitement, il brisa sèchement le silence, élevant une voix terrifiante et altérée par la magie : il semblait que deux voix se mêlaient dans son discours, comme si deux personnes distinctes parlaient simultanément. Ceci ne fit pas sourciller ses confrères.

« Nous vivons selon l'exemple de Hurlorage, comme Il nous l'a enseigné.
Nous nous donnons à Azeroth, dans la défense de notre foyer. Nous livrons notre âme à la damnation pour éviter la Flamme aux autres mortels. Nous abandonnons nos vies pour combattre là où les ombres rôdent. Laissons les faits de ce Chasseur résonner fièrement dans nos mémoires.»

Le grand elfe tourna le dos à ses pairs et, s'avançant davantage du bûcher, saisit une torche qu'il alluma d'un simple sortilège avant de la lever bien haut.
« Mère Elune, Lumière des lumières, accueille ton enfant dans tes bras une dernière fois, avant que sa véritable bataille ne commence.»
Sur ces mots, il baissa la torche au niveau du bois imbibé d'huile, et ce dernier prit feu presque instantanément, caressant la cérémonie d'une douce chaleur.
Le rite d'incinération dura plusieurs heures, et au contraire d'un simple mortel, le corps du défunt s'évapora lentement d'émanations vertes, gangrenées. Cette fumée impie monta dans le ciel des heures durant et sanctifia à sa manière les lieux du rite mortuaire.
La cérémonie se poursuivit jusqu'à ce que le corps soit complètement immolé, jusqu'à ce que nul ossement ne subsiste.

Tout chasseur de démon, du début de son initiation à sa mort au combat, comprend qu'afin d'être sur la Voie, il doit se séparer du paisible au-delà qui l'attend naturellement, pour au contraire livrer une lutte éternelle contre les démons dans le Néant.
Les chasseurs de démons sont des êtres dangereux et leurs restes le sont tout autant. La tradition kaldorei exige que le corps d'un elfe de la nuit soit inhumé et retourné à la Terre de laquelle toute vie prend forme, mais les restes d'un chasseur sont corrompus et contiennent toujours un certain pouvoir bien après sa mort. Ainsi, afin d'éviter que le corps d'un chasseur ne désacralise la terre, il est incinéré.
C'est cette nuit précise, au troisième mois de l'an 16, que fut destiné le Shan'do (le « maître ») de tout un groupe de chasseurs de démons au trépas et à ce rite.
Lorsque tout fut terminé et que les elfes commencèrent à se disperser pour emprunter chacun leur propre Voie, le plus grand et de toute évidence le plus ancien, que l'on nommait Theron, parvint à en rallier quelques-uns à ses idéaux et les mena plusieurs milles plus au sud, dans les jungles de Feralas.
Des dix aspirants que le Shan'do avait pris sous son aile depuis la Grande Fracture, six avaient survécu, et de ces six, deux avaient sombrés dans la folie et forcèrent leurs pairs à les tuer.
Theron avait quant à lui traversé les dangereux Rites de passage avec brio, et de tous les apprentis, il était bel et bien le préféré de son maître. Pendant des milliers d'années, il avait arpenté Kalimdor de fond en comble et accumulé les chasses. Ered'ruins, gangregardes, sayaads et autres diablotins craignaient de croiser sa route, mais parmi tous les démons qui grouillaient sur le continent, les satyres étaient ceux qu'il haïssait le plus.
C'est à cause des satyres qu'il se lança sur le sentier des ténèbres : la femme qu'il chérissait autrefois fut tuée, lors de la Guerre des Anciens, par celui que l'on appelait le « Prince Xavalis ».
Sa haine envers Xavalis s'accumula pendant plusieurs siècles, jusqu'à ce qu'il fasse la rencontre du Shan'do qui accepta de satisfaire son désir ardent de vengeance, en lui enseignant la Voie du Traître.

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