Première chasse

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Les entraînements avaient duré quatre décennies, au terme desquelles Theron était désormais physiquement formaté et roué au maniement de nombreuses armes. Bien sûr, comme pour tout chasseur, il était mis un point d'honneur sur la maîtrise des fameux glaives de guerre, armes traditionnelles que Hurlorage portait depuis la Guerre des Anciens. Mais désormais il était aussi habitué au pistage des énergies gangrenées et autres empreintes démoniaques, paré à l'identification des différents stades de corruption d'un être animé, et il maîtrisait les diverses postures propres au combat contre chaque serviteur connu de la Légion ardente.
La formation traditionnelle d'un chasseur de démons impliquait le choix d'une proie particulière sur laquelle se concentrer pour la première chasse du novice, et ce choix fut vite fait : Theron allait se préparer à traquer, observer et analyser chaque fait et geste du satyre qui avait ruiné sa vie.
Shan'do et Thero'shan, maître et élève, gravèrent ensemble le tristement célèbre nom « Xavalis » sur une lame de basse facture, une dague rituelle qui serait destinée à mettre un terme à la vie du puissant satyre. C'était un choix doublement intelligent, puisque la rancœur et la haine personnelle du futur chasseur constituait une force à ne pas négliger, et les satyres n'étaient pas les démons les plus faciles à traquer : cette première chasse pourrait aussi être la dernière pour Theron, mais s'il survivait à cette quête, il en sortirait profondément changé. En bien, ou en mal.

C'est après plusieurs semaines d'errance et de recherche sans repos dans les Gangrebois que Theron parvint à dénicher sa proie. Il tomba au hasard sur un duo de satyres, marchant dans les forêts souillées de la présence démoniaque, qui le menèrent jusqu'à l'enclave secrète de Jadefeu.
Perché au sommet d'un arbre, ses prunelles comptaient des centaines de satyres et autres démonistes orcs. Mais ses sens de sorcier l'alertaient de la présence impie de puissantes créatures ; leurs auras s'enfonçaient profondément dans le sol, et ne permettaient pas d'identifier clairement leur nature. En vue de l'écrasante supériorité numérique de ses ennemis et de l'évidente impossibilité d'infiltration dans les caveaux de l'enclave, Theron se résigna à une attaque immédiate et préconisa la patience avant toute action regrettable.
Ainsi, il attendit. Longtemps. Caché dans les ombres des chênes profanés, il mettait à profit son agilité pour attraper les quelques oiseaux qui passaient près de lui pour se nourrir. Il descendait également chaque lune pour se réapprovisionner en eau dans la source potable la plus proche - à quelques dix lieues de son poste d'observation - en veillant à ne pas éveiller les soupçons des démonistes.
Les satyres Jadefeu constituaient l'une des tribus les plus puissantes et féroces de leur race. Ils avaient investi un immense territoire dans les vals boisés de la Kalimdor occidentale, et même les kaldorei craignaient leur présence.
Xavalis en faisait partie. En fait, il en était l'un des lieutenants. Une telle place dans la hiérarchie des Jadefeu témoignait des pouvoirs et de la dangerosité de l'ancien bien-né. Theron apprit beaucoup sur lui lors de sa phase d'observation ; les orcs parlaient beaucoup, et fort heureusement, il comprenait leur dialecte. Il apprit notamment que son ennemi juré était un fils de Xavius, le premier satyre. Naturellement, il était sceptique quant à cette information, et supposait qu'elle relevait du commérage orc, mais... il constata toutes les preuves qui confirmaient cette théorie : Xavalis se faisait appeler "Prince", et très peu sont les satyres à porter ce titre honorifique. En outre, son nom coïncidait grandement avec celui de Xavius, et il était tenu en immense honneur au sein de la société satyre. Xavalis. Ce nom résonnait à de multiples reprises dans la tête de Theron alors qu'il réfléchissait à tout ça.

Une semaine passa sans que rien ne se produise, une semaine d'observation monotone et éprouvante, une semaine d'oiseaux et de rats au petit déjeuner, au midi et au dîner. Lorsque cette semaine fut passée, la proie sortit enfin de sa tanière. Tout d'abord, l'apprenti chasseur ressentit une étrange pression émanant de l'enclave, un surplus d'énergie qui le rendait aveugle à toute autre activité magique. Xavalis était là, à une centaine de mètres. Il se pavanait au beau milieu du repaire, jettant des regards méprisants et hautains sur ses flancs. Quelques satyres stoppèrent leur activité pour s'approcher et saluer leur maître qui les ignorait royalement. Royalement, c'était le mot, car malgré son allure de bouc, sa démarche était noble et distinguée.
"Il devrait se regarder dans un miroir, il semble avoir oublié ce qu'il est devenu."
Theron esquissa un sourire à cette pensée.
Le Prince se dirigeait hors de l'enclave, accompagné de trois de ses fidèles gardes.
Theron ne pouvait pas rêver meilleure occasion.

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