XVIII

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Le trajet en quatre-quatre me retourne totalement l'estomac. Assise à l'arrière du véhicule au côté de Ebel, nous roulons à une vitesse impressionnante sur un terrain totalement détruit, si bien que je dois me retenir de ne pas m'envoler à chaque bosse. La pluie s'écrase sur nous et me fouette le visage car seules les places passagers avant sont couvertes. Ces facteurs, plus le fait que je sois obligée de contempler le paysage de désolation qui se trouve sous mes yeux, me donnent une insupportable envie de vomir. La route se déroule sans une parole, sous le grincement bruyant et inlassable de la voiture, et durant au moins une heure, je dirai.

Lorsqu'enfin nous posons pied à terre, nous sommes à l'entrée d'une ville dont je ne connais pas le nom mais qui semble gigantesque. Ebel me tend alors un papier rigide, que je déplie après quelques secondes d'hésitation. Quelques lettres apparaissent autour d'elle : "2101. Provenance : Enjoy Eshop, Quartier riche, Delay."

C'est une carte postale avec pour photo l'entrée de cette même ville, l'emplacement même où nous nous trouvons. Elle est lumineuse, de nombreuses voitures de luxe brillent comme de petits diamants sous un soleil frappant. On trouve plusieurs femmes qui font la pose, des lunettes de soleil sur le nez et un grand sourire. De grandes pancartes de publicité trônent en haut des immeubles neufs et étincelants. À vrai dire, rien à voir avec le spectacle que je contemple actuellement : des tours écroulées, des routes dégradées et boueuses, et un désert total dans les rues puantes.

-Voici Delay, marmonne Ebel en s'approchant de moi, les mains dans les poches. Bombardement il y a trois ans, elle ne s'en remettra surement jamais, tout comme ses habitants.

Il me lance un regard, comme pour voir si j'avais déjà cédé et choisis l'Ancien Continent. Mais je me contente de secouer la tête.

-C'est la guerre. Des bombardements, il y en a des deux côtés.

Le jeune homme hausse les sourcils et m'incite à le suivre, ce que je fais sans hésiter. Il nous fait entrer dans une espèce de hangar à moitié détruit et qui s'écroule lentement, plus capable de se tenir droite. Devant, de nombreux sacs de l'envergure variant entre un et deux mètre jonchent le sol, dégageant une odeur nauséabonde, et je prie intérieurement pour que ce ne soit pas des corps humains. À l'intérieur, les mêmes sortes de paquets. Il y a juste assez de luminosité pour que j'aperçoive la silhouette de mon camarade s'enfoncer dans le noir et grimper avec prudence des escaliers peu fiables.

Je le suis sans dire un mot lorsque l'une des marches se dérobent sous mes pieds et que je m'écroule de moitié dans le vide. Un hurlement s'échappe de ma bouche tandis que je tente tant bien que mal de rester agripper à la rambarde qui tangue violemment au dessus de moi. Je sens alors deux mains puissantes m'attraper et me soulever pour me faire glisser sur le sol du grenier. Je pousse un soupir de soulagement, encore légèrement tremblante. Ma jambe me fait souffrir et je remonte doucement mon pantalon en matière élastique. J'y découvre alors mon membre ensanglanté, ouvert sur toute la longueur du mollet, ainsi que plusieurs ecchymoses et retiens un gémissement.

-Merde, peste Ebel en examinant ma jambe. Tu vas pouvoir me suivre ?

Je hoche la tête positivement. Il désigne alors un point dans mon dos. Je me retourne tant bien que mal pour voir et plaque ma main sur ma bouche devant un si violent spectacle. Une montagne de corps maigres et grisâtres s'empilent au fond de la pièce. Le jeune homme soupire, les yeux rivés sur l'un des morts aux yeux révulsés et la bouche entrouverte, avec une lueur indéfinissable dans les yeux, mélange de nervosité et de tristesse, peut être.

-Voici quelques cadavres des habitants du quartier riche. Il est devenu un ghetto sous les ordres de Raid, comme nombre d'autres quartiers ou cités.

Horrifiée, je ne peux m'empêcher de mordiller avec force ma lèvre inférieur. Raid est le chef gouvernemental du Nouveau Continent, et bien que j'ai étudié son parcours à l'école, je n'ai jamais appris pareil chose. Lee Nicolaus Raid, de son nom complet, était un homme d'une soixantaine d'années. Depuis les années 2100, les gouvernements des cinq continents avait décidé de créer une association pour rétablir une certaine égalité et permettre aux hommes de tous accéder à un mode de vie parfait. Raid avait été élu quatrième président sur un mandat de cinq ans, et la guerre avait éclaté au bout de deux ans. Cependant, nul n'avait été mention, dans nos leçons, de villes détruites ou autres.

-Raid a une drôle de conception de l'égalité, reprend Ebel. Il a favorisé son pays natale et ceux qui l'entouraient et à pour cela voler les autres états sans hésiter à tuer. Tout cela, bien sûr, dans le plus grand des secret.

Le garçon m'envoie une nouvelle carte que je rattrape sans trop de peine, aidée de la réactivité de mes yeux. Au dessus de celle ci naissent progressivement les caractères suivants : "2128. Provenance : Bureau des ordres, Sonelie." Je la déplie lentement et découvre un petit poster aux couleurs légèrement déteintes et usées par le temps. Dessus sont dessinés un planisphère sur lequel plusieurs personnes de différentes origines sourient, parfois les pouces en l'air. Une phrase est écrite en haut, en rouge. "POUR UNE ÉGALITÉ PARFAITE."

-Cet homme est très malin, il pourrit les esprits avec de la propagande. Maintenant que les continents ont changés et qu'il est devenu le chef gouvernemental du Nouveau, il a ce qu'il veut. La richesse et l'égalité. Alors qu'ici, on se fait exterminer jusqu'à ce qu'il ne nous reste plus rien.

Toutes ses informations s'entremêlent dans ma cervelle et font de gros noeuds qui cause mon mal de crâne. Toutes les preuves sont réunis et j'ai du mal à ne pas croire Ebel, qui me dévisage avec son regard si sérieux et convaincant. Il finit par m'aider à me relever et nous sortons du hangar.

Dans le quatre-quatre, je médite toujours ma position lorsque nous passons devant une plaine en contrebas de la route. À perte de vue sont dressées des pierres rectangulaires, sur plusieurs kilomètres carrés, je dirais. Des tombes, murmure une petite voix dans ma tête. Je déglutis et ferme les yeux, avant de les rouvrir et de lancer le regard le plus déterminé que je peux à Ebel.

-J'ai fais mon choix.

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⏰ Dernière mise à jour : Apr 12, 2018 ⏰

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Cyborg.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant