Chapitre V

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Je n’arrête pas de penser à notre dernier baiser. J’ai été contrainte de donner à Sofia des explications qui ont fini par être une description des faits puisqu’elle a développé une vraie passion pour notre histoire.
Apparemment elle est persuadée que ce qui se passe entre Zachary et moi est digne d’un véritable roman à l’eau de rose. Le genre de romans qu’elle lit tous les jours, en une heure chacun. Malgré toutes mes tentatives pour la calmer, je ne suis parvenue qu’à la rendre encore plus fan de nous. Je ne comprends pas pourquoi elle réagit comme ça. Surtout qu’il n’y a rien entre Zachary et moi. D’accord on s’est embrassés deux fois, sauvagement, au point d’arracher nos vêtements. Et d’accord ses baisers et ses caresses me rendent folle.
Mais c’est fini. Je ne vais plus succomber à la tentation. Même s’il ne me rend pas vraiment les choses faciles. Chaque jour depuis notre baiser, il fait exprès de toujours passer tout près de moi. Je me retrouve donc trop souvent proche de son corps de dieu grec, de son odeur, de… tout! Je retrouve l’envie de fauter. Je sais que si ça continue comme ça je ne pourrai pas résister longtemps mais il est hors de question que je lui fasse ce plaisir. Après tout il me cherche mais il n’est pas obligé de me trouver. Je garde donc mes distances avec lui le plus possible.
Et aujourd’hui me permettra de me changer les idées. C’est l’anniversaire de la petite Charlie. Je me lève très tôt ce matin puisque Mademoiselle, habituellement, est debout avant les autres. Je sors les jouets que je lui ai achetés et que j’ai dû cacher pendant plusieurs jours chez Sofia. La petite connaît toutes les cachettes possibles de ma chambre et je ne sais pas comment elle fait pour réussir à y entrer à chaque fois qu’il y a une occasion spéciale pour fouiller. Je sors de ma chambre les bras remplis de cadeaux et je vois Zachary sortir de la sienne tout aussi chargé. Il a dû avoir la même idée que moi. Mais je sais qu’il n’arrivera pas à entrer dans la chambre de la petite avant moi. J’accélère, lui aussi, et on se retrouve à faire la course jusqu’à la porte qui s’ouvre à notre arrivée. C’est ma mère qui l’a ouverte, elle et Dorian ont visiblement été plus rapides que nous. Ils rient en nous voyant et Charlie qui était déjà assise sur le sol au milieu de plusieurs cadeaux court vers nous pour prendre les nôtres.
— Joyeux anniversaire !
Zachary et moi avons crié à l’unisson avant de nous regarder surpris par cette coordination.
Lui sourit, moi je détourne vite le regard l’air indifférente. Sébastian arrive au moment où on pose les cadeaux, en nous dévisageant tous, à moitié endormi. Apparemment l’idée de se réveiller aux aurores n’est pas venue qu’à moi.
— Elle va devenir pourrie gâtée à force de recevoir des cadeaux sans arrêt, nous reproche mon frère. Et sa chambre sera vite trop petite.
Nous savons tous qu’il a raison mais aucun de nous ne veut l’admettre. Jusqu’à ce qu’il se mette à sourire et qu’il sorte de l’arrière du mur à côté de lui un ours en peluche gigantesque de la taille d’un humain. La petite pousse un cri avant de courir vers le nounours comme une furie et de le prendre dans ses petits bras. Quel hypocrite !
— Tu as gagné pour cette année frangin.
Il hausse les épaules, fier de lui, avec un sourire qu’il ne porte pas souvent sur le visage. Je préfère quand il est comme ça. Là je reconnais mon grand frère. On finit tous dans la cuisine après l’ouverture des cadeaux pour prendre notre petit-déjeuner. J’aide ma mère à préparer des tonnes de pancakes jusqu’à ce qu’il y en ait assez pour nourrir un régiment entier pendant que Dorian raconte des blagues pour faire rire tout le monde. Dorian c’est un peu le clown de la famille en toutes circonstances. En amenant le dernier plat je manque de me cogner contre Zachary qui a surgi de nulle part. Il me regarde en souriant, puis repart avec la bouteille de sirop d’érable qui était posée sur le comptoir près de moi. Il le fait exprès en plus. Je soupire pour la énième fois avant d’aller les rejoindre à table. Je me mets à l’opposé exact de Zachary et mange les yeux rivés sur mon plat.
- Bon qu’est-ce qui vous arrive à tous les deux ? nous interroge
Dorian en regardant son fils puis moi plusieurs fois.
Je regarde Zachary, rouge de honte et avec une peur pas possible d’être découverte, mais lui reste calme et répond le plus naturellement du monde.
— C’est l’anniversaire de Charlie. Amyra a sûrement décidé de se comporter enfin comme une adulte pour la journée.
Je fais mine de trouver ça amusant en riant faussement puis je lance un morceau de pancake sur lui.
— Amyra ! me réprimande ma mère comme si j’étais une gamine de huit ans.
— Désolée maman je ne dois pas être aussi adulte que cet attardé mental le dit.
— Au moins je ne gaspille pas la nourriture comme un gosse moi.
— Ah oui ? L’autre jour qui m’a balancé des œufs dessus ?
— Parce que tu m’avais balancé un seau d’eau glacée sur la tronche.
— D’accord j’aurais dû me taire, marmonne Dorian en s’enfonçant dans sa chaise.
Mais nous faisons tous les deux semblants de n’avoir rien entendu.
Je suis presque heureuse de me disputer avec Zachary d’ailleurs.
Ça montre qu’on en est toujours capable et ça éloigne tout soupçon possible.
Et après ce merveilleux moment passé en famille, tout le monde se retrouve dans le jardin derrière la maison pour gonfler des ballons et installer tout ce qu’il faut pour la fête d’anniversaire. Au total on attend vingt petites boules d’énergie et ce ne sont que les amis proches de Charlie. Elle voulait en inviter plus mais il fallait faire des restrictions. Malheureusement je n’avais pas prévu qu’Eliott serait là aussi. Je savais que Livia sa petite sœur viendrait mais je ne pensais pas qu’il resterait pour l’attendre. À vrai dire je n’avais pas envie de le voir parce qu’après la façon dont il m’a rejetée je ne voulais pas être confrontée à lui à nouveau. Mais j’imagine que je ne reçois que ce que j’ai mérité puisque je lui ai fait le même coup après la soirée alors tant pis pour moi. Pendant la petite fête, assise sur un banc avec un gobelet rouge à la main rempli de jus de fruit auquel j’ai ajouté une bonne dose de whisky, j’observe les enfants courir dans tous les sens. Ça me manque d’être aussi insouciante, de courir partout sans me préoccuper de ce qui pourrait se passer. De me casser la figure et de me relever juste après en riant comme une folle. Je souris en repensant à cette époque quand un petit garçon vient s’asseoir à côté de moi. Il porte un chapeau de cow-boy avec une chemise à carreaux rouge qui nous plonge directement dans le Far West. Je lui souris donc mais ses yeux verts me regardent comme s’il voulait me demander quelque chose mais qu’il n’osait pas. Alors je lui parle la première.
— Salut. Je m’appelle Amyra.
Il me sourit enfin à son tour.
— Je m’appelle Richard mais mon papa et ma maman m’appellent Ric.
Il me tend sa main comme un vrai adulte. Je me retiens donc de sourire en gardant mon sérieux et je prends sa main pour la serrer.
— Enchantée de faire ta connaissance. Tu es un ami de Charlie ?
— Oui on est dans la même classe. Je te trouve très jolie.
Waouh. Je me fais draguer par un gosse qui a six ans. C’est drôle et mignon à la fois.
— Merci Ric c’est adorable. Je te trouve aussi très élégant dans ta tenue de cow-boy.
— Ric quoi de neuf mon grand ? crie mon demi-frère derrière nous.
Il vient s’asseoir à côté de moi et tendant son poing au petit qui frappe le sien dessus.
— Qu’est-ce que tu fais avec elle ? reprend l’arrogant. Elle t’embête ?
— Non Amyra c’est mon amoureuse !
Je le regarde surprise et amusée, puis je me tourne vers Zachary étrangement fière qu’un enfant de l’âge de Charlie soit amoureux de moi. Comme si je m’attendais à ce qu’il montre ne serait-ce qu’un peu de jalousie. Mais celui-ci se met à rire. Jusqu’à ce que Richard soit appelé plus loin par un autre enfant et parte en courant en s’excusant auprès de moi juste avant.
— Tu te rabats sur les gosses de six ans maintenant ?
— C’est déjà mieux que les gosses qui vont bientôt avoir dix-neuf ans et qui se prennent pour le centre de l’attention alors que personne ne s’intéresse à eux.
— Waouh. Alors ça, ça fait mal.
— J’espère bien.
On ne parle pas pendant un instant jusqu’à ce qu’il évoque le sujet que j’aurais voulu éviter.
— Alors ce n’est plus tout rose avec Eliott à ce que je vois.
— Ça ne te regarde pas.
— Bien sûr que si. Je dois bien me renseigner puisqu’il veut quelque chose que je convoite.
À ces mots je me tourne vers lui partagée entre la rage et cette foutue excitation qui refait surface. Je fais donc comme si je me fichais totalement de ce qu’il vient de dire et je me retourne.
— Tu t’obstines toujours à faire comme s’il n’y avait rien entre nous ?
— Parce que c’est la vérité.
— Je t’en prie. Tu sens aussi bien que moi la tension sexuelle présente dans l’air.
Cette phrase est la phrase de trop. Je me lève.
— Arrête ça.
— Arrêter quoi ?
Visiblement il est heureux de me mettre dans cet état puisqu’il rit comme à chaque fois.
— J’ai bien compris ce que tu essaies de faire et je ne vais pas entrer dans ton jeu. Toutes ces fois où tu te colles à moi pour soi-disant attraper je ne sais quoi ou aller je ne sais où. Ça ne fonctionne pas. Il ne se passera plus jamais rien entre nous et aucune de tes tentatives minables ne va me faire changer d’avis.
Il ne répond pas tout de suite, il s’installe plus confortablement sur le banc.
— C’est justement ce qui fait de toi une proie difficile et j’adore ça.
Une proie ? Une proie vraiment ? ! Alors là y en a marre ! S’il n’y avait pas les enfants… Je me retiens de le frapper mais je verse le contenu de mon gobelet sur… ses parties intimes, avant de m’éloigner.
J’espère qu’aucun parent ne viendra se plaindre un jour parce que son enfant aura vu la scène. Dans la cuisine, se trouve déjà Dorian, le téléphone à l’oreille comme à son habitude. Il m’aperçoit après deux nouvelles insultes à un de ses employés, il raccroche et me sourit.
— Ne deviens jamais adulte Amyra.
— Si seulement c’était possible.
On rit tous les deux et il sort une bouteille de whisky du placard à alcool dans lequel Zachary fouillait le soir où lui et moi… Il me propose un verre en me faisant promettre de ne rien dire à ma mère et on se retrouve tous les deux à boire ce délicieux liquide qui a dû coûter très cher si on se fie à son étiquette.
— Tu as quitté la fête ? m’interroge mon beau-père curieux.
— À cause de ton cher fiston.
Il hoche la tête comme s’il se doutait un peu que c’était la raison de mon arrivée ici. Et puis il me connaît si bien. C’est pour ça que je me sens coupable de faire ce que je fais avec Zachary. Son père est tellement génial avec moi et avec ma mère qui elle aussi est géniale même si elle cherche parfois à jouer à la meilleure amie. Je ne veux pas les blesser en faisant n’importe quoi ni briser leur couple. Leur mariage.
— Tu sais Amyra, toi et Zachary vous vous disputez tout le temps mais au fond je suis certain qu’il t’apprécie énormément.
Il ne croit pas si bien dire. Quoique non, Zachary ne m’apprécie pas. Il me l’a dit lui-même il me considère comme une proie difficile à attraper. Il est vraiment con celui-là.
— Est-ce que ça va ? ajoute Dorian étonné de mon silence.
Qu’est-ce que je suis censée lui répondre là ? Que ça ne va pas parce que son fils qui m’a déjà embrassée deux fois va me rendre dingue à force de jouer avec moi ? Qu’il fait tout pour me séduire parce que selon lui c’est amusant de convoiter quelque chose qu’on ne peut pas avoir ? Non je… mais, oui, c’est ça ! Zachary est attiré par moi parce que je suis la seule fille qui ne lui court pas après. C’est ça son soi-disant jeu d’adultes. Quand il finira par m’avoir, il va laisser tomber. Je dois donc juste lui faire croire qu’il a gagné pour que je puisse vivre en paix.
— Amyra ?
Ah oui j’avais oublié qu’il m’avait posé une question, je lui souris avant de déposer un baiser sur sa joue.
— Ça va super ne t’en fais pas Dorian. Je dois y aller, toi va aider maman avec les petits sinon elle deviendra folle bientôt.
Et je sors vite de la cuisine pour monter à l’étage. Zachary doit sûrement y être puisque j’ai versé mon jus de fruit sur son pantalon.
Je m’arrête juste devant la porte de sa chambre en hésitant. Est-ce que c’est vraiment une bonne idée de me lancer sans réfléchir à ce que je vais faire une fois face à lui ? Je ne dois pas me précipiter même si j’ai hâte que ce jeu se termine. Je dois bien y penser. Et demander conseil à quelqu’un. Je vais donc m’asseoir sur mon lit pour appeler Sofia qui n’a pas pu venir à cause d’un repas de famille. Mais après plusieurs sonneries je tombe sur son répondeur.
Je m’allonge alors désespérée, pour regarder le plafond, puis fermer mes yeux afin de mieux me concentrer sur ma décision. Est-ce que je devrais abandonner cette idée ? Après tout je ne suis pas sûre que ça fonctionnera et ça va même peut-être faire empirer la situation si j’entre dans son jeu. Parce que la partie peut aller très loin. Mais d’un autre côté je ne peux laisser durer la situation. Je dois faire quelque chose avant que cet imbécile aille trop loin. Bon et puis merde j’y vais. Je me précipite vers la porte de la chambre de Zachary, elle s’ouvre sur lui. Il s’arrête en me voyant, il a l’air surpris et en même temps intrigué.
— Amyra ? Qu’est-ce que tu fais ici ?
Bon alors entrer dans son jeu ou laisser tomber cette idée stupide ?
Décide-toi Amyra !
— Je suis venue te dire que tu avais raison.
Bon apparemment je vais entrer dans son jeu. Et je sens que je vais le regretter.
— J’essaie de me convaincre depuis le début que tu ne me fais aucun effet mais c’est faux.
Il a l’air méfiant mais curieux. Tant mieux. D’un côté je m’attendais à cette réaction.
— Vraiment ? me questionne-t-il en levant un sourcil.
Je hoche la tête puis entre dans sa chambre sans lui demander sa permission refermant la porte à clé derrière moi. Pour une décision prise sur un coup de tête je trouve que je joue beaucoup trop bien le jeu. Est-ce que je joue toujours ? Je m’appuie contre la porte en attrapant sa chemise pour le tirer vers moi en l’arrêtant à quelques centimètres de mon visage. Je le regarde droit dans les yeux en tentant de sourire comme il le fait toujours en me regardant. Ce sourire qui me déstabilise et qui a l’air d’avoir le même effet sur lui. Puis mon regard se tourne vers le premier bouton de sa chemise que je défais doucement.
— Je pense qu’il est temps pour moi de sortir de ma zone de confort et de… m’amuser un peu.
Je le regarde à nouveau en enlevant le deuxième bouton.
— Alors ? Tu m’aides à m’amuser ou pas ?
Il rit légèrement avant d’attraper mes mains brutalement pour arrêter ce qu’elles étaient en train de faire.
— À quoi tu joues Amyra Salem?
Je retire mes mains des siennes, les glisse derrière son cou.
— Je te l’ai dit je ne joue pas. Je veux juste m’amuser.
Ce qui est faux, je joue évidemment. Et puis je commence à l’embrasser et je retrouve cette sensation d’interdit et de plaisir. Et puis ses mains reprennent leurs caresses. Oh non, je suis en train de perdre le contrôle. Je dois tout arrêter parce que c’était une très mauvaise idée de faire ça. Vite je dois me ressaisir. Maintenant!
Et je me réveille en sursaut dans ma chambre. Mon téléphone posé à côté de moi comme tout à l’heure. Alors tout ça c’était un rêve ? Je me suis tout simplement endormie. Je soupire de soulagement, tout ça était faux, je ne suis jamais allée dans la chambre de Zachary, je ne l’ai jamais dragué et encore moins embrassé. Une part de moi est déçue. Mais une autre, plus grande, est heureuse de ne pas avoir fait cette énorme erreur que j’aurais sûrement regrettée. Je devrais retourner à la fête en bas pour aider ma mère et Dorian. Cependant dès que je me lève mon téléphone se met à vibrer. C’est Sofia qui me rappelle, je me jette sur l’appareil et le colle à mon oreille.
— Pardon Amyra, mon oncle Gus a bu trop de vin, il a fallu l’accompagner dans la chambre d’ami et nettoyer tout son vomi dans l’entrée.
— Charmant.
Mais ça ne m’étonne pas de lui. Il était là au dernier anniversaire de Sofia et il a passé tout le repas à me draguer, après quoi il a essayé de monter sur la table pour danser. Ah mais c’est donc de lui que
Sofia tient ça alors.
— Tu voulais me dire quoi ? m’interroge mon amie qui a l’air épuisée.
— J’allais te parler d’un plan stupide mais ensuite j’ai fait un rêve érotique qui m’a totalement dissuadée de le faire.
— Génial, toi tu fais des rêves érotiques pendant que je dois nettoyer du vomi.
Sa réponse est exactement celle que j’attendais, je savais qu’elle serait dans la rigolade et le sarcasme et ça me réconforte un peu. Ça me donne l’impression que tout est normal comme avant et que je ne fais pas de rêves bizarres. Et que je ne fantasme pas sur mon demi-frère. Je vais regarder par la fenêtre de ma chambre pour observer la fête mais la première chose que je vois c’est Eliott. Je décide donc d’en parler avec Sofia.
— Eliott est là.
— Qu’est-ce qu’il fait là ? Attends que je débarque pour lui balancer mon poing dans la figure.
— Il accompagne sa petite sœur.
— Frappe-le.
— Sofia.
— Je ne plaisante pas, frappe-le.
— Je vais raccrocher.
— Je vais venir le faire à ta place si tu refuses de m’écouter.
— Occupe-toi plutôt de ton oncle.
— Ouais plus sérieusement tu as raison je devrais aller le voir, confirme-t-elle en soupirant. Bon ne t’inquiète plus pour Eliott. Ni pour Zachary.
— Je vais essayer.
Elle fait le bruit d’un bisou, puis raccroche. Je regarde une dernière fois par la fenêtre, hésitant à descendre pendant un instant, avant de me décider enfin. Mais dans le couloir je croise mon grand frère avec à nouveau cette tête d’enterrement qui le caractérise si bien.
— Sébastian ? Qu’est-ce que tu fais là ? Tu n’es pas en bas ?
— Non. Si je reste en bas je risque de commettre un meurtre devant des enfants et je préfère éviter.
Il veut toujours tuer des gens lui, j’aimerais bien savoir pourquoi cette fois.
— Pourquoi ?
Il soupire et regarde la porte de sa chambre en voulant y aller mais change d’avis et se tourne enfin vers moi.
— J’ai appelé papa.
Quoi ? Comment ça ? Mais pourquoi ?
— Je voulais aller passer les fêtes avec lui mais il a refusé.
Ça ne m’étonne pas. J’aime notre père et je n’éprouve plus aucune rancœur envers lui depuis longtemps. Avant je le considérais comme le fautif de la destruction de notre famille, et de la destruction de son mariage. Mais même si je lui ai pardonné depuis, je continue de penser qu’il fuit beaucoup trop ses responsabilités de père. Ce qui a l’air d’échapper à mon frère qui essaie toujours de se rapprocher de lui.
— Je ne sais pas vraiment à quoi je m’attendais en l’appelant, depuis qu’il a sa nouvelle femme on n’existe plus pour lui.
Je suis tentée de lui dire que sa nouvelle femme n’a rien à voir là-dedans mais je ne veux pas qu’il se braque encore plus qu’il ne l’est déjà. Alors je lui souris simplement et je m’approche de lui pour le prendre dans mes bras sans qu’il s’y attende. Je vois bien qu’il est surpris par cette marque d’affection mais quand je pensais qu’il allait me repousser, il pose en fait ses mains dans mon dos et me rend mon étreinte. J’imagine que vivre tous les jours enfermé dans sa coquille ça doit le fatiguer et il se laisse enfin aller. Nous restons dans les bras l’un de l’autre pendant un long moment jusqu’à ce qu’il me lâche en me souriant. J’ai l’impression de voir ses yeux briller, il détourne vite le regard et passe sa main dans ses cheveux frisés.
— Je vais dans ma chambre.
Il passe à côté de moi mais je le retiens à la dernière minute.
Ce moment d’échange entre frère et sœur c’est le premier depuis tellement longtemps que je ne peux pas le laisser partir comme ça sans rien dire.
— Sébastian attends.
Il s’arrête, je le vois passer la manche de sa veste sur son visage.
— Je sais que tu aurais voulu passer du temps avec papa et que tu n’apprécies pas forcément maman. Mais je suis là moi. Je suis ta petite sœur et je veux que mon grand frère me parle et arrête de me repousser comme il le fait sans cesse. On était tellement complices toi et moi avant, qu’est-ce qui nous est arrivé ?
Je vide mon sac. Tout ce que j’aurais voulu lui dire avant je lui dis maintenant. C’est une réelle souffrance de vivre tous les jours en le voyant lui-même souffrir sans pouvoir l’aider. Quand on était petits on se courait après dans le jardin et on se chamaillait gentiment tout le temps. Je veux retrouver cette complicité et je suis prête à tout pour ça. Maintenant que j’ai réussi à faire une fissure dans sa carapace je vais essayer de l’ouvrir complètement. Malheureusement il ne me laisse pas cette chance et m’ignore totalement pour retourner dans sa chambre. Je soupire, déçue avant de me retrouver nez à nez avec ma mère qui me sourit tristement comme pour me réconforter.
— Ce n’est pas de ta faute chérie. Il ne veut pas qu’on l’aide tu ne peux rien y faire.
Je ne peux rien faire ? Comment peut-elle dire ça ? Nous sommes sa famille, les seules à pouvoir faire quelque chose pour l’aider. Je n’arrive pas à croire qu’elle puisse penser que son fils est un cas aussi désespéré sans même avoir essayé de l’écouter.
— Je ne le laisserai pas tomber maman. Je dois essayer même si j’ai peu de chances de réussir.
Et je passe à côté d’elle tête baissée pour retourner au milieu de tous les gosses de cinq ans qui ne réalisent pas tout ce qui se passe dans cette maison.

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