PROLOGUE

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« Il est là le problème tu vois ? Dans le fond, qui me dit que je suis moi ? Qu’est-ce qui me prouve que vous me dîtes la vérité ? J’ai envie d’y croire. Croire que tout ce que j’ai maintenant, c’est ce que je possédais déjà avant. Que tous ceux qui m’entourent sont ceux qui autrefois déjà, m’aidaient à avancer et me sentir forte. Je veux vous faire confiance. Mais on me dit toujours : « Tu faisais ça avant », «  Tu ne faisais pas ça ». On me compare à une fille que je ne suis plus et que je n’ai même, peut-être, jamais été ! Quand je me regarde dans mon miroir, je me demande qui je suis, comment je m’appelle, d’où je viens … Je me demande si ma vie avait un sens ou si elle était aussi nulle qu’aujourd’hui ! Qui me dit que, dans l’histoire, vous ne jouez pas, simplement, un rôle bidon qui consiste à me faire faire ceci et cela ! Parce que tu vois, j’ai peur ! Peur d’être un objet que vous jetteriez après l’utilisation ! Peur d’être une poupée que vous briseriez jusqu’à la dernière articulation ! Ouai ! C’est ça ! J’ai peur et je n’ai pas honte de le dire ! Ce n’est pas ma faute si je n’arrive pas à vous croire, à vous imaginer dans ma vie ! Et toi encore moins ! Parce que tu es le seul que je ne cerne pas ! Tout le monde me dit de te fuir, de ne pas t’approcher ! Tout ce qu’on me dit de toi m’écœure à un point que tu ne peux même pas imaginer ! Mais là encore je ne sais pas si toutes ces rumeurs sont vraies et fondées ! Non ! Je ne le sais pas ! Et je ne comprends pas pourquoi est-ce qu’à chaque fois que je te vois, j’ai une envie folle de te parler, de te connaître … Et ça, malgré tous les avertissements qu’on m’a lancé à ton égard ! Je crains qu’on veuille faire de moi quelqu’un que je ne suis pas enclin à devenir ! Au fond de moi, t’es dans mon putin de cœur, je le sens ! Et je n’arrive pas à t’en sortir ! J’ai beau avoir tout essayé, avoir tout tenté pour, mais je n’y arrive pas ! Par contre, toi … Tu dois le savoir ! Dis le moi ! Dis-moi pourquoi lorsque nos regards se croisent, tu ne baisses pas les yeux comme les autres, pourquoi tu surveilles chacun de mes gestes, pourquoi c’est toujours toi qui m’aide à me relever alors que tu n’es pas celui que j’attends, pourquoi tu te préoccupes autant de moi alors qu’on me dit, partout, que tu me détestes ! Il y a une raison à tout ça ! Et je veux la connaître ! »

Yeux dans les yeux, l’homme se contenta de froncer les sourcils lorsqu’Isy eut terminé son monologue. Les mains dans les poches et le regard solidement ancré dans le sien, il se rapprocha jusqu’à sentir son souffle sur sa peau et se positionna face à elle, le visage plus attristé que jamais. Il l’observa longuement, s’acharnant à deviner quand est-ce qu’elle finirait par ce rappeler leur relation.

« Dis quelque chose ! Je ne supporte plus de ne pas savoir ! J’ai besoin de connaître la vérité ! Et je suis persuadée que c’est toi qui détiens les clefs de mon histoire ! Dis-moi que je n’ai pas à avoir peur, que tout ça, c’est juste le fruit de mon imagination et que je suis celle que j’ai toujours été ! Que je suis Isy Leigh ! Une gamine de 17 ans qui n’a pas changé même après son accident et sa perte de mémoire ! Dis le moi ! »

Son interlocuteur ne broncha pas. D’un geste lent et instinctif, il baissa la tête et passa sa main dans ses cheveux afin d’effacer tous souvenirs susceptibles de le faire craquer. Elle n’avait pas à savoir. Au fond, les choses était bien mieux comme ça. Chacun de leurs côtés, ils menaient déjà, tous deux, une vie bien assez compliquée et exténuante. Et c’était suffisant pour le convaincre de la laisser dans l’ignorance.

« Pourquoi tu refuses de me parler ? Qu’est-ce que je t’ai fait ? Dis le moi ! Tu ne sais pas ce que ça fait de se réveiller tous les matins et se demander quoi faire, sachant pertinemment  que derrière cette image on a d’énormes soucis sur le dos ! De prendre un chemin et de se dire qu’il nous paraît familier parce qu’effectivement, on l’avait déjà emprunté par le passé ! De sentir un parfum, le reconnaître mais de ne pas savoir où est-ce qu’on la sentit la première fois et, surtout, sur qui ! De manger quelque chose d’étrange et d’avoir l’impression que ça ne l’est pas tant que ça, étant donné qu’on en avait déjà goûté auparavant ! De rencontrer des gens, les entendre crier ton prénom, alors que toi, tu te demandes qui ils sont réellement et où est-ce que tu les as déjà vu ! De retomber sur des photos et des souvenirs, puis te questionner sur ta véritable identité ! « C’est vraiment moi ? », « C’était où déjà ? », « Et c’est qui ceux-là ? » Tu te rends compte qu’à l’heure actuelle, on me dit ce que je dois aimer ou ne pas aimer, sous prétexte que c’étaient des choses que j’appréciaient ou non avant mon accident ?! J’ai l’impression qu’on me façonne de toute part, de ne pas être moi et d’être enfermé dans un corps remodelé pour le plaisir de tous ! Ce n’est pas moi ! Mais ça, personne ne sait ce que c’est ! Vous l’ignorez tous ! Parce que pour vous, il n’y a que le confort de votre petite vie qui vous importe ! Et … »

L’homme lui empoigna violemment les poignets, l‘attirant à lui en faisant preuve d’une attitude inattendue. Ses yeux virèrent de la tristesse à la colère, presque comme s’il prenait soudainement conscience de quelque chose de majeur. Il hésita longuement, entre deux actes différents. La faire taire ou la laisser ruminer. Donc lui mentir ou lui dire la vérité. C’était l’un ou l’autre. Or, il ne pouvait faire deux fois la même erreur. Et ce fut sur un coup de tête irréfléchi qu’il revêtit sa protection morale.

« Ecoute moi bien Isy, car je ne me répèterais pas deux fois ! Arrête de croire que sous prétexte que tu sors tout juste du coma, le monde doit tourner autour de toi et de ta petite vie. Si tu veux savoir, je me contrefiche  royalement de tes problèmes, et encore plus de toi ! Alors, à l’avenir, évite de me crier dessus pour des choses aussi débiles et qui, en plus, ne valent pas la peine d’être entendu. Tu me fais perdre mon temps ! Et tu perds également le tiens, car sache que si tu veux des réponses, alors ce n’est pas à moi qu’il faut t’adresser ! Tu t’es tournée vers la mauvaise personne, et cela t’as fait perdre un temps considérable ! D’ailleurs, pour ta gouverne, et juste pour te faire culpabiliser un peu plus, sache que moi aussi je sais ce que c’est que de vivre dans l’ignorance ! La seule différence entre toi et moi, c’est que j’ai su trouver celle qui me fallait et qui m’a innocenté, alors que les autres me croyaient apte à commettre de telles conneries. »

Puis il partit, lui tournant le dos et la laissant en état de choc. Conscient qu’elle ne se souvenait, probablement, pas de ce à quoi il faisait allusion en lui parlant de « conneries », il se contenta de serrer la mâchoire et de claquer violemment la portière de sa voiture. Il démarra en trombe, laissant sur place une jeune fille de huit ans sa cadette et pour qui il aurait énormément fait autrefois, avant que la vérité n’éclate au grand jour. 

All Over AgainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant