Une Partie de cartes

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Le lendemain matin quand elle revint au Quartier Général de la Résistance, le docteur Abbott l'accueillit comme elle s'y attendait, à bras ouverts.

« - Ah Lise ! Comment vas-tu ? Tu as passé une bonne nuit ? »

« - Très bien ! » mentit-elle une seconde fois. En réalité, elle n'avait pas fermé un œil de la nuit à cause des menaces de la veille, qui la tiraillaient comme un cauchemar.

« - Fort bien alors, dit Abbott. On va pouvoir attaquer le deuxième souvenir alors si tu es d'aplomb. »

« - C'est bon je suis prête pour un nouveau voyage. » répondit-elle sans enthousiasme.

« - Allez, allonge-toi. »

Tandis qu'elle s'allongeait sur la couchette et qu'il lui enfilait le casque sur la tête, elle se remémora la tache qu'il lui incombait de faire une fois arrivé là-bas. Elle devra une nouvelle fois trouver Goldsmith, enfant, adolescent ou jeune adulte peu importe dans quelle période de sa vie, pour annuler un moment clé de sa vie. Elle ne savait pas pourquoi mais depuis ce matin elle sentait bizarrement que le voyage allait très mal se passer. Pourquoi elle avait cette impression, elle ne saurait le dire, sans doute pour aucune raison.

« Let's go ! » s'écria le scientifique avant d'activer le dernier bouton et de la plonger dans un souvenir mémorable qui n'était pas le sien.

-25 rue de la tannerie- affichait l'écriteau à côté de la porte à double battants. Lise n'avait vraiment pas eu de chance, elle avait atterri dans une grande benne à ordure sur des sacs en plastique remplis de déchets. Elle s'en était extirpée en râlant et en trébuchant, elle n'avait vraiment pas de chance concernant les lieus où elle atterrissait. Le building devant lequel elle se tenait à présent était tellement haut qu'elle n'en voyait pas le sommet. Les bruits de la ville et les klaxons des voitures sur la chaussée contrastaient avec le silence du laboratoire dans laquelle en ce moment-même elle était endormie. « Ce n'est qu'un rêve » pensa-t-elle, « non plutôt un souvenir qui ne m'appartenait pas. » Elle resta là, un moment, à regarder les taxis passer, « C'était encore l'époque où les voitures avaient encore des roues. » Ce souvenir devait remonter il y a bien longtemps alors, vingt ans voire trente ans plus tôt. Et sur ce, elle s'arracha à ses réflexions, poussa la porte à double battants, et entra dans le pub new-yorkais.

Une épaisse fumée flottait dans l'air, comme un brouillard emprisonné entre quatre murs, du tabac. Le monde autour d'elle riait, s'esclaffait, buvait, se droguait, fumait, jouait aux cartes, dans l'intention de faire passer le temps, ou d'oublier la vie à l'extérieure et tous ses tracas quotidiens. Lise se dirigea vers le bar et promena ses yeux sur la foule de clients du pub envoûtée par l'abus d'alcool, en espérant trouver du premier coup l'homme qu'elle cherchait. Contrairement à la première fois, elle ne mît vraiment pas longtemps à le reconnaître. Il était attablé avec cinq autres personnages autour d'une grande table hexagonale dans un coin. Ses cheveux blonds étaient courts, bien coiffés sur un côté, il était vêtu d'un pauvre manteau et d'un pantalon moulant déchiré au niveau des cuisses. En bref il ressemblait à un voyou de 19 ans issu de la classe populaire.

« -... je mise 75. » disait-il en l'attention des cinq autres.

Le personnage sur sa gauche eut un petit rire et dévoila ses cartes aux autres joueurs.

« - Brelan » annonça-t-il, et les six autres s'agitèrent sur leurs chaises, mal à l'aise. Goldsmith, dépité, dût remettre ses jetons à son adversaire.

« - Merci vieux, dit l'homme du même âge qui venait de remporter la mise, promis j'te paye un verre si je remporte la partie. »

« - Faudrait déjà que tu la gagnes cette partie, remarqua le jeune Hartus, j'pense plutôt que tu vas te prendre une de ces branlées ! »

« - Messieurs, s'il vous plaît ! s'exaspéra la distributrice (encore à l'époque où ce métier était exercé par un être humain). Si vous avez fini vos enfantillages ! »

« - Tout à fait. » répondit poliment son ami, avant qu'Hartus ne fasse une remarque désagréable.

La partie continua donc dans le silence, et Lise s'émerveillait de la stratégie et de l'adresse que possédaient les deux jeunes-adultes à cette partie de poker. Le prochain joueur joua sa variante de cinq cartes, celui d'après choisit de se coucher, et le suivant abattit toutes ses cartes.

« - Tapis ! » dit-il. Et alors il se vit approprier la cagnotte du coéquipier de Goldsmith, sous le sourire narquois de ce dernier.

« - Tu vois ! » railla-t-il, mais son ami était trop contrarié pour répondre.

Quand ce fut une nouvelle fois au tour d'Hartus, la distributrice redistribua les cartes et la partie continua. Au bout d'un moment donné, un joueur quitta la table, dégoûté. Puis un autre le suivit, et encore un autre, et il resta bientôt plus que trois joueurs restants. A un autre moment, Goldsmith sentit les yeux de la jeune fille braqués sur lui et il porta son regard sur elle, Lise détourna aussitôt les yeux, rouge comme une tomate. « Allez, souviens-toi de ce que tu dois faire » se rappela-t-elle. Mais le truc c'est qu'elle ne savait pas quand intervenir, à quel moment il commencerait à faire quelque chose de mal ? Elle devait donc attendre et guetter sa réaction, ses moindres faits et gestes, ses moindres paroles, patienter jusqu'au moment opportun. Et puis il y avait l'autre, son ami. Lise était presque déjà sure de l'avoir croisé quelque part. Son visage lui disait vaguement quelque fois, son visage carré, ses cheveux en bataille, brins.


Hartus montra son jeu à son ami qui avait abandonné la partie, et celui-ci s'esclaffa de rire. L'adversaire haussa les sourcils, Hartus sourit, et Lise se pencha en avant pour mieux écouter.

« - Très bonne combinaison. » chuchota-t-il et Hartus hocha la tête.

Mais ce dernier sortit finalement une dernière carte de sous sa manche, et son congénère sourit de plus belle. Il remplaça cette carte par une autre qu'il reglissa dans la manche. « Il triche » pensa Lise, sidérée. Tricher c'est mal, c'est peut-être maintenant qu'elle devrait intervenir.

« - Après ce coup-ci, plaisanta Hartus à son ami après un ou deux verres d'alcool, il nous restera plus qu'à créer notre propre parti politique ! »

Lise se figea d'un coup, et attendit la suite. Les deux voyous étaient complètement saouls. Mais il s'apprêtait à tricher sous l'effet de l'alcool, et qui plus est alors qu'une grosse somme d'argent était en jeu.

« - Tu t'imagines Tom, renchérit-il en chuchotant. Un monde à genoux devant nous, ce serait une prodigieuse remontée pour deux gars des bas-fonds de la société comme nous. »

« - Oui, dit finalement son ami, le dénommé « Tom ». C'est une bonne idée ! »

Pas de doute ils étaient complètement sous l'effet de l'alcool, mais ne serait-ce pas la raison pour laquelle ils fonderont leur parti extrémiste ? Et puis il y avait ce gars, Lise avait comme l'énorme sensation que quelque chose ne tournait pas rond avec ce type, sa voix et même son visage lui disait trop quelque chose... qu'elle avait déjà aperçu... récemment, voire très récemment. Elle essaya de plonger dans sa mémoire pour y dénicher un certain « Tom » qu'elle aurait pu connaître. En vain. Elle s'apprêta donc à agir, avant que Hartus Goldsmith ne triche et ne gagne l'argent nécessaire pour son parti. Une serveuse arriva à la table, portant un plateau sur lequel trônait une bouteille de porto. « - Voici la dernière bouteille que vous avez commandé... » dit-elle d'un ton purement professionnel.

Ces deux "alcoolos" faisaient pâle figure, Lise avait presque pitié de les voir dans cet état. Elle allait sortir de sous sa cachette, quand les dernières paroles de la serveuse la glaça d'effroi.

« ... Monsieur Abbott. »

Il était une dystopie [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant