1. Luna

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La C.O.P. me regarde en plissant les yeux. Je suis sûre qu'elle ne m'aime pas. Ou alors elle n'aime pas ma réponse.

Bah quoi ? Elle m'a demandé quelles étaient mes aspirations, mon rêve, mon but dans la vie. Alors la première chose qui m'est venue à l'esprit, c'est "m'envoler, être libre et heureuse"... Tout le monde ne voudrait-il pas être libre et heureux ? Apparemment non : pas elle.

"Voler ? Tu voudrais être euh... pilote, c'est ça ?
-Non ! Je veux faire du journalisme. Mais quand je dis que je veux m'envoler, ce n'est pas dans une machine. C'est une image. Vous comprenez?"

Non, elle ne comprend pas. Personne ne comprend.

Mme Helders replace ses lunettes - je crois que c'est un tic - et reprend :

"Oh. Oui, une image... Bien sûr, pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt... Une image!" ajoute-t-elle avec un petit rire nerveux. Je ne ris pas en retour. Pas d'humeur, désolée.

Elle débloque, là, non?

"Hum-hum. Pardon. Restons sérieuses. Tu veux être journaliste, donc?
-Exa.
-ct
-Comment?
-Et bien... Tu as dit "exa". Il manque le c et le t. On dit exact."

Je ne réponds pas. Petit silence gênant. Elle reprend (toujours en replaçant ses lunettes) :

 "Tu sais quel parcours il te faudra poursuivre?
-Pas exactement.
-Evidemment."

Evidemment.

"Je... je sais que je pourrais aller en filière Littéraire ou Economique et Sociale puis à la fac, mais je n'ai pas encore fait mon choix, à vrai dire.
-Tu sembles avoir un bon profil littéraire.
-C'est ce qui se dit.
-Bien. Si effectivement tu désires entrer à l'Arsenal..."

Et ça a duré comme ça pendant au moins une bonne demi-heure. L'ennui ! Une demi-heure de cours de lettres de perdue... Enfin bref.

Ah, elle parle encore. J'avais décroché, désolée.

"Bon, conclut la C.O.P. Je crois que nous avons fait le tour."

Hallelujah !

"Quelque chose à ajouter...?
-NON!" je crie presque.

Durant le silence qui suit, j'ai le loisir d'entendre le tic-tac de l'horloge accrochée au mur dénué de couleurs. Elle me semble sortir de nulle part. Le temps semble sortir de nulle part.

Ok, Luna... Reprends-toi et rattrape-moi ça!

"Euh... je veux dire... non, je... j'ai tout ce dont j'ai besoin maintenant, merci.
-Hmm. D'accord, Luna..."

Ok. Je me suis légèrement  laissée emporter. Je crois. Si c'est gênant? Non...

Le feu me monte aux joues tandis qu'elle continue : 

"Très bien. Au plaisir de te revoir, miss Parkes.
- Oui, oui, je bafouille. Au revoir... Madame euh... Madame."

Vous percevez un quelconque malaise ? Toujours pas...? Moi non plus.

Peu importe, c'est fini, je ne suis plus au supplice. Quand je sors de son bureau, un poids se libère de ma poitrine : je me suis sentie tellement opprimée dans son espèce de cagibi sombre et lugubre... On se serait cru avec un détraqueur.  

A ma montre : 14h27. Wow. Je suis restée dans le bureau de cette cinglée au moins 55 minutes. Avec ça j'ai réussi à échapper à 35 minutes de maths, bien. Mais ça m'a fait perdre au moins 20 minutes de français ! La poisse ! 

Histoire d'Un TempsWhere stories live. Discover now