A présent, Mme Helders me fixe silencieusement. Elle n'a pas dû bien comprendre le message. J'en ai sûrement trop dit ? C'est un peu comme si je lui avais fait mon Curriculum Vitae... Mais je n'ai dit que la pure vérité.
"Ok, Jean-Charles, si tu le dis..."
Comment ça, "si je le dis" ?
"Donc, reprend la C.O.P., toi aussi tu veux faire dans le journalisme?
- Oui, moi aussi. C'est... ce que je viens de dire, en fait.
- Bien, bien. Et tu sais dans quelle filière tu v...
- Evidemment que je sais !"Elle commence sérieusement à me taper sur le système...
"Ecoutez, j'ajoute, si je suis là, c'est uniquement parce que j'y suis obligé. Je sais ce que je veux faire, et comment y parvenir. Je me suis renseigné! Et je connais - enfin, ma mère connait - tout un tas de personnes qui pourront facilement me faire entrer dans le monde du travail.
- Euh... oui... c'est génial, mais j...
- Bon, je pense que vous comme moi avez envie d'en finir au plus vite avec cet entretien. Alors on va dire que ce rendez-vous a été très intéressant pour tout le monde, que vous m'avez apporté des informations extrêmement précieuses pour mon avenir; qu'avant vous je n'étais qu'un élève paumé et que maintenant je suis un élève paumé qui sait ce qu'il va faire de sa vie, etc. etc. Bref, vous voyez ce que je veux dire." Je finis sur un ton et un sourire faussement affables.Exaspéré, je me dirige déjà vers la sortie. Elle réussit à en placer une (alors que j'ai tout fait pour qu'elle reste muette) :
"Au fait, Jean-Charles..."
Quoi encore?
"Oui...?"
Je tourne la poignée...
"Son nom...
- Quoi, son nom?"J'ouvre la porte...
"Luna. Son nom c'est Luna."
Bordel.
Je me crispe. Et elle sait parfaitement pourquoi. Son nom. Je déteste entendre son nom. Il fait bondir mon cœur et me fait quelque peu rougir. Mais pas parce qu'elle me plaît (quelle idée!). C'est juste que, aussi improbable que cela puisse paraître, Luna est mon alter ego. Je veux dire ma plus grande rivale - à vrai dire, la seule. Elle est mon seul obstacle majeur pour arriver à mes fins. Bref : après Helders, c'est Luna que j'aime le moins. Par pure formalité, certes, mais quand-même.
Depuis l'angle d'ouverture de la porte, je peux voir un sourire narquois se dessiner sur sa figure de fourbe. Elle replace, pour la énième fois, ses horribles lunettes en forme de lune sur son petit nez ; j'ai envie, pour la énième fois, de les lui briser avant de mettre son nom dans mon Death Note.
Pile entre Macron et Trump.
"Mais ça, poursuit ma tortionnaire, je suppose que tu le savais déjà. Et tu sais aussi qu'elle a de grandes chances d'être prise dans l'université où tu souhaites étudier... Peut-être même plus que toi, qui sait!"
Son rictus machiavélique s'élargit à mesure que je me raidis. Elle ressemble de plus en plus à une sorcière. Je me demande qui cédera en premier : mon poignet ou la poignée?
"Tout ne peut se jouer qu'à ça, fait-elle en rapprochant son pouce et son index. J'ai quelques contacts, moi aussi, je connais ces gens, je veux dire : ceux qui s'occupent d'accueillir ou non les élèves dans les universités - j'ai travaillé avec eux, autrefois ; ils peuvent décider de prendre en compte ou de rejeter une candidature rien qu'à la vue de la photo du candidat en question. Un peu comme pour recruter des employés. Surtout lorsque l'on doit départager deux postulants semblant avoir des qualifications similaires. Un peu comme toi et ta..."
Mais à quoi elle joue?
"...Louisa. Dans votre cas, ce n'est plus le dossier en lui-même qui compte, ce sont les petits détails, qui nous paraissent habituellement insignifiants. Il parait que l'aura - et même l'âme - d'une personne peut se retrouver dans son portait. Ce sont eux, justement, qui nous permettent (et nous ont toujours permis) de vous cerner et vous juger en une fraction de seconde. Un claquement de doigt... et hop! On a décidé de votre avenir. Tout ne tient vraiment qu'à un fil, finalement. Ou devrais-je dire, à un pixel. C'est fou, non?"
Wow. Attendez... c'est censé être drôle?
Son visage a entièrement été éclipsé sous ses petites dents pointues ; le sang cesse de circuler dans ma main, elle est engourdie. Comme tout le reste de mon corps, d'ailleurs - signe que c'en est assez.
Ne t'abaisse pas à son niveau. Ne-la-laisse-pas-t'atteindre.
"Ok..." fais-je après un silence lourd de tensions.
Garde. Ton. Calme.
"Ok, Erika. Si vous le dîtes..."
Et je claque enfin cette foutue porte.
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Histoire d'Un Temps
General FictionLuna. Logan. Jean-Charles (oui, Jean-Charles. Un problème?). Marianne. Erika. Les joies, les embrouilles, les emmerdes. La jeunesse, la vieillesse. Le jour, la nuit. L'amour, la haine. Rester adolescent ou passer à l'âge adulte. Faire une dépression...