5. Melvin - Trêve

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5. Melvin | Trêve

- Intéressante ta reprise de Toujours la même rengaine. On y croirait presque à ton interprétation.

Moi téméraire ? Si peu. Il ne faut pourtant pas beaucoup de jugeotte pour se rendre compte qu'elle est en colère contre moi. Elle l'a déjà été tout le reste de l'émission. Ok, je n'aurais sans doute pas dû formuler cette réponse comme ça. C'était stupide, certes, mais involontaire. Alors pourquoi je tiens tant à me justifier ?

Venir ici n'était sans doute pas la meilleure idée de la journée. Je ne sais même pas ce que je fous là, allongé à côté d'elle sur une scène d'un centre municipal. Sinon la provoquer, je n'ai aucune raison d'être ici. Je devrais être de retour au studio depuis une heure pour continuer à bosser sur l'album.

Pourtant, je me suis quand même pointé à son label pour clarifier la situation. J'ai dit aux mecs que j'avais une course à faire pour qu'ils ne me harcèlent pas. Sauf qu'elle n'était pas là. J'ai dû forcer un peu les choses pour obtenir cette adresse de la part de la fille de l'accueil, et même utiliser certaines des techniques de séduction de Sasha – pour une fois qu'il sert à quelque chose. Elle a fini par céder. « Je ne peux pas vous garantir qu'elle sera là-bas mais il y a de grandes chances. »

Quand je suis arrivé devant le bâtiment, j'ai bien cru qu'elle s'était foutue de moi. Peut-être que Ciara lui avait donné des directives pour m'envoyer balader au cas où je me pointerai. Je ne la connais pas très bien mais je sens que ce serait tout à fait son genre.

Foutu pour foutu, j'ai quand même passé la porte et demandé à la réceptionniste – sans vraiment y croire – si elle savait où se trouvait Ciara Delaunay. Même si elle a eu l'air surprise que je pose la question, elle m'a désigné une salle au fond, sur la gauche. Ce n'était finalement pas un leurre.

Et nous voilà, à l'horizontal, à nous envoyer des piques l'un après l'autre. Ce sont les amateurs de ping-pong qui seraient ravis d'assister à notre échange. Je me demande sur qui ils parieraient.

- Tu trouves aussi ? Ce n'est pas ma préférée pourtant.

Un-zéro pour Melvin. Je souris, à moitié ravi de cette confession, à moitié moqueur, comprenant qu'elle a baissé sa garde. C'est ce qui arrive quand on veut absolument avoir le dernier mot.

- C'est laquelle ta préférée alors ?

L'astuce c'est de contre-attaquer immédiatement. Le ton de ma voix est taquin, mais pas assez tranchant pour qu'elle puisse le prendre mal. Enfin... Normalement. Elle me prend de court en répondant sérieusement à ma question, moi qui m'attendait à un nouveau tacle de sa part.

- Veines vaines.

Je ne trouve rien à répliquer, parce que c'est également un de mes morceaux préférés. Même si on a sans doute des raisons très différentes de l'aimer. J'me sens en veine, mais c'est en vain, que je viens te parler. J'suis pas devin, va falloir que tu viennes, me chuchoter tous tes secrets. Ce n'est même pas une chanson titre, elle n'a pas eu de vidéo pour l'illustrer, juste un morceau perdu dans la track de mon premier album. Ce n'est pas souvent qu'on me la sort tout en haut de la pile mais, évidemment, je ne lui dis pas ça.

C'est bizarre d'être ici, à côté d'elle. Depuis que je suis arrivée, elle garde les yeux fermés, comme si je ne représentais pas un danger – enfin, c'est peut-être ce que je veux croire. Peut-être qu'elle ne voit juste pas l'intérêt de les ouvrir. Quant à moi, j'ai la tête penchée sur le côté, son côté, avec en premier plan ses cheveux violets. Voilà que j'vois ton visage, partout où je vais. Comme pris de vertige, j'me raccroche à nos vestiges. Il me semble que c'était hier encore, la veille de nos vices.

Est-ce que c'est la position horizontale qui nous offre un terrain neutre ou le sujet ? On parle de ma musique, puis de la musique en général. Et bientôt, il n'y a plus aucune animosité entre nous deux. Pourtant, je sais que ce n'est qu'une trêve. Cette scène c'est notre vingt-quatre décembre à nous, en plein champ de bataille. J'peux pas m'avouer vaincu. Alors même si c'est vainement, je viens te parler. J'deviens verbeux à force de te regarder, et tu n'y vois que du verbiage.

Malgré nos différences évidentes, notre mauvais démarrage, on se trouve des points communs. Le piano est le premier instrument qu'elle ait appris à jouer. Elle recopiait les paroles de ses chansons préférées dans un carnet afin de les décortiquer et de comprendre comment fonctionnait l'écriture. Elle a déjà essayé de lire le dictionnaire de A à Z, juste pour acquérir du vocabulaire. Comme moi, elle a échoué. Elle a commencé à écouter du rap en primaire, grâce à un CD d'Eminem.

- C'était l'époque où je ne retenais absolument pas les noms des artistes. J'étais à la traîne sur tous les autres. A la récré, ils parlaient musique et moi, je n'écoutais pas la radio. Eminem, ça a été un peu mon ouverture sur le monde.

Elle n'aime pas le thé mais boit des litres de café quand elle écrit. Elle préfère les feuilles volantes aux carnets ou à l'ordinateur, même si ça veut dire qu'elle en perd une sur deux, à chaque fois.

- Du coup, maintenant, je les prends en photo, histoire d'avoir une trace.

Son portable est rempli de photos et de notes. Quand elle est en déplacement ou qu'elle n'a pas de feuilles à disposition, elle écrit sur son téléphone. C'est le mien qui nous interrompt. Till I collapse résonne dans la pièce. C'est Sasha.

- Mec, tu t'es perdu en faisant ta course ? Ça fait deux heures qu'on t'attend au studio !

- J'arrive. Vous n'avez aucune patience, c'est incroyable.

Je raccroche et annonce que je dois partir. Elle ne rouvre pas les yeux, et se contente de hocher la tête. Je suis quasi certain qu'elle a entendu la voix de Sasha, pourtant elle ne laisse rien montrer. Même si elle n'est plus aussi détendue que pendant notre discussion et je comprends que notre trêve s'arrête là.

Et tu m'fais comprendre, que la place n'est plus vacante. Tu as pris un contrat à durée indéterminée. Plus besoin de recruter. Mais moi c'est ton venin qui coule dans mes veines. Ton venin qui m'accroche sans peine.  

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