Merci pour vos petits mots ♥
11. Melvin | Stress pré-sortie
Je ne sais pas comment c'est arrivé mais cette scène est devenue notre point de rencontre. On ne prend pourtant pas rendez-vous. Ce qui explique d'ailleurs qu'on ne s'y retrouve pas toujours. Déjà, je ne viens pas tous les jours, je n'en suis pas encore arrivé là. Parfois, c'est moi qui trouve la scène vide. Je m'assois alors quelques minutes au bord avant de reprendre mes affaires et de m'en aller. On se loupe, nos horaires ne concordant pas toujours.
Plusieurs fois par semaine, cependant, vers dix-huit heures, avant d'aller au studio, je fais un arrêt au centre municipal de ce quartier. Juste avant d'aller m'enfermer pour le reste de la soirée. J'ai appris où se trouvaient les meilleures places de parking et les différentes réceptionnistes ont maintenant pris l'habitude de me voir ici. Elles me saluent toujours avec une certaine discrétion, comme si j'étais n'importe qui d'autre, et peut-être que c'est comme ça qu'elles le voient. Je ne sais pas comment tout ça reste secret. Comme si Ciara s'était garantie, avec cet endroit, sa tranquillité.
Parfois, je suis le premier. Bien souvent, je la trouve déjà allongée. Elle ne ferme pas toujours les yeux, je crois qu'elle compte aussi les câbles au plafond, comme on compte les moutons avant de dormir. Elle est toujours éveillée, pourtant, même quand on pourrait penser le contraire.
Au fil des jours, on a trouvé nos marques. En réalité, on les a posées dès le premier jour. Elle, à droite. Moi à gauche. Elle qui fixe le plafond ou ferme les yeux. Moi qui penche la tête et laisse ses cheveux me chatouiller le nez.
- Et tu n'es pas tentée parfois d'avoir tes propres morceaux ?
- Tu es sûr d'avoir écouté l'émission de l'autre jour ?
Son rire est moqueur mais plus rancunier. Je ne sais pas non plus quand elle a arrêté d'avoir de la rancœur envers moi. Peut-être qu'elle arrive à mieux le cacher, maintenant. Peut-être que ce n'est qu'une façade. Mais comment expliquer, alors, qu'elle accepte que j'envahisse ainsi son espace ?
- Oui.
- Ce n'est pas vraiment que ça ne me manque pas, après tout est-ce qu'on peut manquer de quelque chose qu'on ne connaît pas ? Bien sûr, je foule des scènes, je connais l'adrénaline de me produire devant des gens, mais ce n'est pas comparable à ce que toi ou les autres connaissent. Disons que je n'en ressens pas le besoin.
Je n'arrive pas à imaginer ma vie sans la scène. Qu'est-ce que je serais devenu si ça n'avait pas marché ? Si avec le groupe on n'avait pas percé et qu'on n'avait jamais signé avec une maison de disques ? Je n'ose pas l'imaginer, en réalité. J'ai bien trop peur de ce que je trouverais. Un moi tentant désespérément de continuer dans la musique ? M'accrochant aux soirées dans les bars et finissant les miennes sur le comptoir ?
Alors je ne peux qu'acquiescer. Elle n'en ressent pas le besoin. Sinon, elle ne serait pas là, sur cette scène, simplement allongée.
Mon portable sonne et je me relève, réglé comme une horloge. Elle ne pose pas de questions, elle commence à avoir l'habitude. Elle me laisse partir sans un aurevoir. Ce n'est pas comme si on se disait bonjour non plus.
Le temps de retrouver ma voiture, je joue avec mes clés dans la main. Je me sens léger, pourtant je sais qu'il va bien falloir à un moment donné qu'on mette des mots sur tout ça. Sinon, on fonce droit dans le mur. Peut-être que c'est déjà le cas ? Peut-être qu'il est déjà trop tard pour freiner ?
Je soupire, pose la tête sur le volant, un instant, histoire de faire le point. Prends les choses comme elles sont. Carpe Diem. Et je démarre. Si je ne me dépêche pas, je vais encore avoir à faire face à la curiosité des gars.
Le problème c'est qu'ils me connaissent un peu trop bien. Ils ne sont pas toujours tous là en studio mais ils ont trouvé le moyen de tracer mes allers et venues. Ils savent très bien que, normalement, une fois que j'entre en période studio, je n'en sors que très peu sauf pour des rendez-vous obligatoires. J'ai un rythme assez aléatoire. Je sors manger un bout, je ne me couche pas forcément à la même heure, mais les trois-quarts de mon temps je les passe au studio.
Ce qui n'est pas habituel c'est que je n'y suis pas de dix-huit heures à vingt heures. C'est un des moments de la journée que je préfère pour enregistrer. La plupart des personnes du bâtiment ont quitté leur travail, je n'ai pas encore faim et je suis en pleine forme. C'est la période de temps idéale. Et ça fait deux semaines que quasiment un jour sur deux, je sors pour prendre l'air pendant une demi-heure ou deux heures. Alors, forcément, ils se posent des questions.
C'est entre autres pour ça qu'il faut que je mette des mots sur tout ça. Parce qu'un jour ils vont forcément me coincer entre quatre murs et il faudra bien que je leur fournisse une réponse. Pas sûr qu'elle leur plaise, pas sûr qu'elle me plaise surtout.
Je n'ai toujours pas avancé sur la question quand j'arrive devant le studio. Je rentre et je fais comprendre d'un regard à ceux présents que je ne suis pas d'humeur pour un interrogatoire. La légèreté s'est envolée, et c'est le sérieux qui reprend le dessus, le stress qui commence à faire son apparition. On est en train de boucler les derniers morceaux de l'album et il sera sans doute prêt à être envoyer au pressage et à l'imprimerie en début de semaine prochaine.
On est actuellement sur le mixage, demain un ingénieur doit s'occuper du mastering. Je devrais avoir l'habitude maintenant, j'ai déjà vécu deux albums solo, trois albums avec le groupe, mais c'est comme si je revenais la veille de notre première sortie.
- Il est vraiment bon, Mel'. Il va cartonner !
Les gars essaient de me rassurer, et je sais qu'ils sont sincères, mais ça ne fonctionne pas. J'ai besoin d'un autre avis, de quelqu'un qui ne me connaît pas aussi bien mais en qui j'aurais assez confiance pour lui faire écouter l'album avant sa sortie. En clair, cette personne n'existe pas et moi je me ronge le sang, convaincu que quelque chose ne va pas avec la track. Ça m'a tenu éveillé toute la nuit, sauf que je n'arrive pas à mettre le doigt sur ce qui ne va pas. Les gars pensent que c'est parce que je l'ai trop écouté, mais je suis certain qu'il y a quelque chose qui cloche. Ça me rend dingue.
C'est comme ça que l'idée fait son apparition et, comme une mauvaise herbe, j'ai beau la chasser, elle ne cesse de revenir. Ce n'est pas une bonne idée. C'est même tout le contraire d'une bonne idée. Elle me travaille tout le reste de la semaine. Si bien que je mets une plombe à me décider à aller prendre l'air ce jeudi-là. Il faudrait pourtant que je sorte d'ici avant de casser quelque chose. Depuis mardi, je n'ai pris que deux pauses, en-dehors de mes nuits.
- Tu sais très bien comment tu es Melvin. Il n'y a pas d'album parfait, ça n'existe pas. Et je t'assure, cet album est génial.
C'est la phrase de Flo' qui me décide. Je leur annonce que je sors prendre l'air, non sans avoir transféré l'album sur mon portable juste avant de partir. Je le garde en mode avion pour éviter tout risque. On ne sait jamais. Autant être prudent. Je prends la voiture, l'idée devenant plus forte. Ce n'est sans doute pas une bonne idée, mais c'est la seule qui me vient en tête.
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Nos Musiques (sous contrat d'édition)
RomanceMelvin est un rappeur connu, Ciara une productrice de musique qui préfère l'ombre à la lumière. Ils se rencontrent alors que leurs meilleurs amis respectifs se font du mal. Au fur et à mesure qu'on chante, je sens Olivia se détendre à côté de moi...