Flûte

12

Angèle n'y croit pas trop. D'abord parce que même si elle ressent de l'attraction et parfois du flirt, elle pense vraiment que Selim n'est pas du genre à l'apprécier ainsi sur un coup de tête. Pas comme elle. Selim a l'air réfléchi. Il est du type à nourrir ses sentiments, à attendre qu'ils grandissent, à les aider à mûrir puis disparaître. Angèle préfère les précipiter pour mieux les perdre. Ce sont deux raisonnements différents. Deux rythmes distincts. Des cadences virevoltantes.

Et pourtant, elle a envie d'y croire.

« Selim est sur toi. »

C'est cruel de donner de l'espoir à Angèle, mais Coline n'a pas fait exprès. Et le fait même que Co' lui laisse la chance d'exprimer certains de ses ressentis, alors qu'elle n'a jamais rien dit sur lui, prouve encore qu'elle a de la chance de l'avoir en tant que meilleure amie.

— Tu dors pas ? demande-t-elle en s'asseyant sur le canapé.

La brune n'arrive plus à dormir ces derniers temps et elle est incroyablement surprise par la présence d'Isidore, vautré sur le canapé du salon à cinq heures du matin, en train de mater des Star Wars.

— Non, j'avais la flemme de dormir, répond-il simplement.

Angèle n'a jamais vraiment d'interactions avec Isidore. D'abord parce qu'Isi' passe sa vie avec Coline ou Anatole. Et que vu que la brune traîne toujours un peu plus de temps chaque jour avec Selim, les deux n'ont jamais vraiment l'occasion de discuter à deux.

La brune n'aimait pas trop Isidore avant. Elle le savait sympa, assez drôle, mais surtout dépendant. Très dépendant. Aussi dépendant qu'elle à la clope, mais surtout dépendant aux drogues. Si Coline fait ressortir la meilleure version du blond, Angèle a déjà vu la pire version d'Isidore. Elle sait qu'il a déjà été agenouillé devant des toilettes avec des potes à sniffer de la coke. Elle sait pour ses gros bad trips au lycée, avec sa période noire où il ne parlait plus à personne. Ils ont des amis communs et elle connaît très bien ses histoires. Pas Co'.

Et ça avait surpris Angèle de voir Isidore si changé avec sa meilleure amie. Elle trouvait la combinaison étrange au départ. Puis petit à petit, elle a vu qu'ils se rendaient mutuellement heureux par leur simple présence. Et pour la brune, ça changeait beaucoup de choses.

Isidore n'était plus le trouduc' drogué de service. Il lui faisait même de la compétition dans la course à l'amitié de la blonde. Mais Coline était heureuse. Et Angèle était contente de la voir sourire, surtout quand Selim lui avait brisé le cœur en mille morceaux.

— Cafte pas à Coco' que je grignote, lance-t-il en lui passant le pot de popcorn.

Angèle sourit.

— T'inquiètes po l'ami, dit-elle avec un accent comique.

Seulement, Angèle voit rapidement qu'Isidore aimerait lui dire quelque chose. Lui faire part d'une remarque qui lui trotte dans la tête.

— Accouche, ordonne-t-elle.

Le blond soupire de soulagement.

— Avec Anatole, on a une théorie.

— Laquelle ?

— Que t'es sur Selim.

Angèle sent son ventre se retourner. Est-elle si prévisible que ça ?

— Et qu'est-ce qui vous fait dire ça ?

Isidore grimace.

— Anatole, parce qu'il trouve que tu déprimes avec lui puis que t'es toute heureuse avec l'autre. Moi...

— Oui... et toi ?

— Parce que tu fais la même tête que Coline quand elle était sur lui, avec lui. Genre, vous dévorez du regard son sourire et ses yeux.

Angèle soupire.

— Coline a une théorie, réplique calmement la brune.

— Laquelle ?

— Qu'il est sur moi.

Isidore hausse un sourcil.

— T'y crois ? demande-t-il.

Et elle avoue, sincèrement, à contrecœur :

— Pas vraiment.

Le blond répond, l'air ailleurs :

— J'sais pas, au fond, s'il est sur toi, ça se verrait. Il sourit beaucoup avec ses fossettes. Genre une tonne. Avec Coline il ne faisait que ça. J'observerai demain pour toi, si tu veux.

La brune soupire longuement. Selim sourit beaucoup, mais pas toujours avec ses fossettes. Elle n'arrive pas toujours à le faire sourire.

— On verra bien, achève-t-elle en croquant dans un popcorn.