Le pire est derrière vous, Potter.

¢нαρтєя 9

La première partie de soirée avait été animée par un quintette à vents. Les cinq musiciens, pleins de verve et de gaîté, avaient interprété toutes sortes de pièces légères, dansantes, enjouées ou mélancoliques...

Arrivé parmi les premiers, Tom attendait impatiemment le moment où il verrait Harry. Le garçon ne s'était pas encore montré, sans doute se chauffait-il les doigts à l'écart, dans quelque pièce reculée de l'imposante demeure...

Tom était confiant. Dans son invitation, le duc de Fields avait promis que le jeune Potter serait présent à cette soirée, et qu'il jouerait en deuxième partie. Tom n'avait aucune raison de mettre sa parole en doute.

Il commençait à se faire tard, et le Lord s'ennuyait ferme.

Outre nombre de ses connaissances, Tom avait repéré dans la foule un jeune violoniste qui s'était produit lors de la dernière soirée musicale, accompagné au piano par cette belle jeune femme qui semblait proche de Harry et lui faisait ostensiblement les yeux doux, au grand agacement du Lord... Ce soir, la jolie pianiste était également présente, mais le couple de musiciens se contentait de faire partie du public. Le duc ne les avait apparemment pas sollicités pour jouer...

Le quintette à vents finit par quitter le grand salon, et on annonça un entracte. Une bonne partie du public se dirigea vers le buffet et les conversations reprirent bon train. Tom fut bientôt accaparé par quelques uns de ses amis. Tout en les écoutant parler, il approuvait mollement, guettant les allers et venues du côté de l'estrade des musiciens. Pour tromper son énervement, il vida un énième verre de vin et avala distraitement quelques petits fours.

Vingt minutes ne s'étaient pas écoulées qu'un mouvement diffus agitait la foule. Il y eut comme un bruissement, une rumeur, puis le silence s'imposa. Tom comprit ce qui se passait. Il se dégagea du groupe de ses connaissances et gagna une place depuis laquelle il avait une vue ouverte sur l'estrade.

Harry venait de faire son entrée, son violon à la main.

Seul.

Bien que cela ne fût pas mentionné sur le programme, Tom avait supposé qu'il serait accompagné au pianoforte...

Le garçon se tenait debout face au public, le visage grave, et saluait. Les gens applaudirent. Tom regarda autour de lui. Il eut l'étrange impression que la plupart des personnes présentes partageaient sa fébrilité, et il en ressentit une profonde contrariété.

De quel droit tous ces gens souriaient-ils au garçon, comme s'ils le connaissaient personnellement et de longue date? Pensaient-ils qu'il était venu jouer spécialement pour eux? A l'évidence, ces imbéciles ignoraient que Harry appartenait à Tom, et à lui seul.

Aucun d'eux ne l'avait sauvé de la mort, ni ne pouvait revendiquer comme lui le statut de protecteur du garçon, son bienfaiteur... son amant...

Ce soir, malgré les apparences, le violon de Harry ne chanterait que pour lui...

Dommage qu'il ne pût communiquer mentalement avec le musicien. Tom lui eût signalé sa présence, le garçon eût tourné ses beaux yeux vers lui, un courant de compréhension fût passé entre eux, imperceptiblement, au nez et à la barbe de tous ces gêneurs...

Mais Harry avait visiblement tout autre chose en tête. Il se recueillit un instant, fermant brièvement les yeux, puis posa le violon sur son épaule, leva l'archet et, prenant une inspiration, fit sonner le premier accord.

Du Bach... Une partita pour violon seul.

Une vague d'émotion fit trembler Tom de la tête aux pieds.

Il se revit à Manderley, dans son salon de musique, quand il avait mis le Guarneri dans les mains du garçon et l'avait entendu jouer du Bach pour la première fois...