Partie 4

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Althéa est assise en tailleur sur le parquet de sa chambre. Elle replace une mèche rebelle derrière son oreille, tachant de bleu sa longue chevelure brune sans même sans rendre compte. Mais l'artiste est ce qu'il peint, alors quelle différence entre la peinture sur la toile et celle qui constelle son T-shirt autrefois gris ? Althéa est pour son tableau ce qu'est le caméléon à la branche, elle ne fait qu'un avec les aquarelles qu'elle étale tantôt sur le fond blanc, tantôt sur sa joue satinée.

Elle se lève et recule d'un pas pour évaluer son travail. Les poils du pinceau qu'elle tient entre ses doigts sont secs, et pour cause, cela fait plus d'une heure qu'elle fixe du regard la toile sans réussir à y reproduire l'agitation vagabonde qui l'anime.

Elle se mordille la lèvre pour tenter en vain de se canaliser, mais comment reproduire cette sensation d'abandon fluide qui la possède en ce moment tout en essayant de se concentrer ? Ne devrait-elle pas plutôt se laisser guider par ses sens en pleine dérive ?

Elle trempe à nouveau son pinceau dans la peinture bleue nuit et ferme les yeux au contact de son instrument sur la toile tendue. Elle y trace une bande aux courbes instables, seulement guidée par la puissance de ses émotions et par son instinct la guidant dans les méandres de son tableau autant que dans ceux de son âme en proie à des tourments sans causes apparentes.

« -Naos, elle m'appelle.

-Non Rana, ça ne se peut...

-Si, je dois y aller. Mais seule. »

Althéa se fige, laissant tomber son pinceau à terre, indifférente aux taches dont sont désormais maculés le sol et le bas du mur. Ses esprits retrouvés, elle se précipite vers la fenêtre, secouée par le drame qu'elle pressent et la détresse alarmante qui a agitée la voix de Rana.

Personne, ni sous le porche en contrebas ni aux alentours de la maison, mais Althéa le sait, ce sont bien les voix des Tombés du Ciel qui l'ont émue au point d'en oublier la peinture encore fraîche répandue dans sa chambre. Elle en est sûre, l'événement qui les inquiète tant se rapproche, pourtant elle ne comprend pas, pourquoi Rana doit-elle partir sans Naos ?

Althéa voudrait leur crier de s'en aller ensemble, que la lune les attend, qu'ils ne sont pas à tout jamais déchus, qu'il leur suffit juste d'y croire... Alors la jeune fille cède, elle enfile la veste jetée négligemment sur le dossier de sa chaise et glisse ses pieds dans sa paire de basket aux lacets déjà noués avant de s'assoir à sa place habituelle, mais cette fois avec les jambes au-dessus du vide.

Elle s'agrippe au rebord de sa fenêtre et se pend le long de la façade pour réussir à placer son pied droit sur le muret délabré se tenant plus bas. Une fois son équilibre assuré, elle retire l'une de ses mains et son pied rejoint l'autre. Elle inspire profondément avant de lâcher complètement le rebord et de s'accroupir sur l'amas de brique constituant un appui bancal. Elle prend le temps de reprendre son souffle avant de sauter dans l'herbe amortissant sa chute.

Althéa n'y croit pas, elle est en train de faire le mur pour inciter deux personnes dont elle ne connaît rien, mis à part les voix et les prénoms, à s'en aller vers la lune. Pourtant les paroles de Rana trouvent encore écho dans son esprit, elle doit la persuader d'emmener Naos avec elle.

Mais, éclairée à la lueur du lampadaire, elle le sait, ce n'est pas cette nuit qu'elle rencontrera les Tombés du Ciel. Les champs autour d'elle sont vides, tout comme les sentiers et la cour entourant sa maison.

Et comme le ciel sans deux de ses étoiles les plus brillantes...

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Aïd Moubarak à tous les musulmans et pour les autres bonne journée tout simplement ;) 

Tombés du CielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant