Partie 7

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« Elle nous sourit depuis la lune.

-Oui, je la vois... »

Cette fois-ci Althéa n'est pas spectatrice de la conversation nocturne, mais belle et bien actrice. Quiconque connaissant un temps soit peu leur histoire pourrait croire qu'elle remplace en cette nuit fraîche d'été l'étoile la plus brillante de sa constellation, mais elle et Naos le savent, rien ne pourra jamais prendre la place que Rana a laissée vacante dans le ciel.

Althéa est venue s'asseoir sous le porche tous les soirs depuis le sombre événement, elle savait qu'il finirait par venir. Et le temps lui a donné raison, au bout de quatre nuits une silhouette se profila au loin et s'installa à ses côtés, sans une parole ni un geste jusqu'à celle-ci. En brisant le silence qui pesait telle une chape de plomb entre eux deux, il abrogea aussi en un accord tacite le peu de retenue qu'aurait pu avoir Althéa.

« Tu n'as pas à t'en vouloir. »

Naos baisse la tête, accablé par le poids qui pèse sur son corps encore affaibli.

« -Pourquoi le traitement expérimental a-t-il fonctionné sur moi et pas sur elle ?

-Naos aucune réponse ne peut-être apportée à cette question, tu ne fais que rajouter à ta douleur en pensant cela. »

Le jeune homme ne semble pas l'entendre, comme si les mots d'Althéa ne lui semblent pas assez vrais pour être entendus. Alors elle rajoute une phrase à peine murmurée en levant le visage vers les étoiles.

« C'est le destin, elle a toujours été faite pour s'en aller sur la lune et elle le savait. »

Naos inspire profondément et la jeune fille y perçoit le tremblement qu'il essaie de cacher. Le monde des larmes est un royaume bien étrange, tellement loin, inaccessible pour ceux qui n'y ont jamais mis les pieds et pourtant il semble que certaines personnes sont dotées d'une empathie si grande qu'ils peuvent ressentir cette douleur ancrée dans le cœur de ceux qui s'y sont un jour aventurés. Alors Althéa attend, sachant sa présence réconfortante car silencieuse, elle attend qu'il parle de lui-même, car rien de vrai ne peut sortir sous la contrainte.

« Tu crois que cela a vraiment a marché ? Qu'elle est partie heureuse ?

-J'en suis convaincue. »

Le jeune homme n'essuie pas la larme qui dévale le long de son visage pâle et garde les yeux fermés un instant avant de les rouvrir comme s'il voit l'image de sa jumelle gravée sous ses paupières.

« Tu sais ton tableau, je l'ai gardé car c'est son dernier espoir qui y est gravé, son dernier sourire aussi. »

Althéa ne s'attriste pas de ne plus jamais revoir la toile qui, pourtant, est et sera la plus réussie des œuvres qu'elle ne pourra peindre durant toute sa vie. Elle n'a pas besoin de poser ses yeux sur la peinture pour se rappeler chacune des courbes qu'elle y a tracées et chacune des couleurs qu'elle y a appliquées. Ses nuits sont bercées par l'image des deux ombres représentées de dos, l'un prenant appui sur l'autre, les Tombés du Ciel dans leur beauté la plus pure, celle qui se revêt de mystère et qui est éclairée par la lune peinte dans le coin de la toile.

Une lune comme seuls Naos et elle-même peuvent voir, où on devine les traits de Rana. Elle a réussi, elle s'en est allée pour l'astre, en solitaire comme elle l'avait prévu cette nuit-là. Elle s'en est retournée là où elle ne souffre plus.

Naos est encore là aujourd'hui, le regard plongé dans le ciel nocturne car plongé dans celui de Rana.

« Althéa et si on revenait ici ?

-Et qu'est-ce qu'on ferait ?

-On regarderait la lune... »    

Tombés du CielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant