Althéa est assise sur l'une des chaises métallisées faisant face à la réception. Elle est consciente de l'étrange spectacle qu'elle constitue avec son bouquet de fleurs pressé contre sa poitrine, sa toile encore inachevée sur ses genoux et son sac en bandoulière. Mais elle le sait, elle est exactement là où elle devrait être, c'est ici que l'ont menée les traces de Rana et Naos. Retrouver les Tombés du Ciel a été chose aisée, beaucoup plus que ce à quoi elle s'attendait, mais qui aurait pu prévoir une telle découverte ?
L'homme accoudé au comptoir depuis une bonne dizaine de minutes finit par s'éloigner, en ayant obtenu gain de cause si on se fie à l'expression de satisfaction qu'il affiche en se dirigeant vers l'entrelacement des couloirs aseptisés. Althéa s'avance à son tour, l'air assuré malgré la crainte que lui inspire la secrétaire visiblement irritée par sa précédente joute verbale.
« Bonjour, je viens pour voir Rana Bianchi.
-Vous êtes une de ses amies ?
-On peut dire ça, oui... »
La femme en blouse blanche hoche la tête avant de rentrer le nom aux consonances italiennes dans sa base de données. L'information trouvée, elle scrute du regard l'adolescente pendant un certain temps, passant du bouquet à la toile pour revenir sur sa chemise en jean où subsistent quelques taches de peinture. Althéa, gênée par l'examen minutieux dont elle est l'objet, se racle la gorge pour rappeler la réceptionniste à son travail.
« Chambre 252, son jumeau est avec elle. »
Althéa, la gorge nouée par l'émotion, souffle un rapide merci avant de faire volte-face vers les ascenseurs menant aux étages. La nausée la prend alors qu'elle arpente les couloirs monochromes, difficile de dire si son mal de cœur est simplement provoqué par l'odeur d'antiseptique qui flotte partout dans l'air ou si c'est le souvenir de l'article trouvé sur Internet qui lui retourne l'estomac.
Althéa, après avoir déambulé pendant une vingtaine de minutes dans le mauvais service, finit par trouver la chambre 252. Quand elle a attendu pour la première fois les brides de la mystérieuse conversation, elle ne se doutait pas le moins du monde quelles la mèneraient jusqu'au CHU de Saint-Etienne. Pourtant la jeune fille n'a pas hésité à prendre le train pour traverser les deux-cents kilomètres séparant son village de la ville normande. Prétextant une rencontre improvisée avec une amie perdue de vue, elle s'en est allée avec pour seul bagage sa toile, un bouquet de fleurs, un sac débordant de pinceau et de tubes de peinture et un billet de cinquante euros froissé.
Althéa frappe deux coups discrets avant de tourner la poignée et de pousser la porte en retenant son souffle. Le jeune homme, debout devant le seul lit de la pièce, ne se retourne pas quand elle s'avance à ses côtés.
« Tu es venue...
-Je vous le devais. »
Naos se pince les lèvres et ses yeux, embués de larmes, ne quittent pas le corps affaibli de sa sœur. Rana est étendue sur la couche blanche, ses bras à la peau translucide sont piqués de perfusion et ses paupières ne se soulèvent pas à l'entrée de la visiteuse.
Althéa dépose le bouquet de fleurs de lune près de la Tombée du Ciel et s'installe face à la table au centre de la chambre. Elle sort ses pinceaux et ses peintures qu'elle aligne le long de la toile. Ses prunelles bleutées s'attardent sur le frêle jeune homme dont le visage est rongé par la souffrance. Le mal qui atteint sa jumelle physiquement l'empoisonne au plus profond de son âme, comme si le cancer qui souille le sang de Rana s'infiltre en lui à travers l'amour qu'il lui porte.
« Je vais y arriver.
-S'il-te-plaît Althéa. »
La jeune peintre essaye de calmer le tremblement qui agite tout son corps avant d'appliquer le premier coup de pinceau. Elle grave sur sa toile les traits délicats de l'agonisante en essayant de saisir la vie qui s'échappe peu à peu du visage juvénile. Les larmes qu'Althéa retient en elle vibrent sur la toile, animent les ombres et subliment les courbes. Elle ne peint plus, c'est son cœur qui le fait et seuls les mouvements de son poignet lui rappellent qu'elle est encore présente.
Le temps semble s'écouler plus doucement entre ses quatre murs, comme si la mort a décidé de le rendre malléable en ces derniers instants. Ou peut-être que ce sont les esprits engourdis par le désespoir qui n'arrivent plus à suivre son fil tendu, trébuchant dans son sable épais. Est-ce volontaire si aucune horloge ne rythme de son tic-tac les secondes qui ne semblent plus défiler ? Ou est-ce la nature humaine qui ne peut se décider à accepter les rouages complexes de la clepsydre ?
Althéa soulève pour la dernière fois son pinceau de la toile et elle intime d'un simple regard à Naos de venir voir le résultat. La silhouette fantomatique se déplace en silence vers elle et se penche par-dessus son épaule.
« Merci... »
Naos prend délicatement le tableau et le dépose près de sa jumelle, il prend place sur le fauteuil près d'elle et glisse sa main dans la sienne. Il scrute du regard chaque parcelle du visage de la jeune fille comme pour graver à jamais la douceur de ses traits dans son esprit et caresse du bout du doigt la joue de Rana.
Une larme coule sur la sienne, solitaire, échappée du barrage que forme encore son enveloppe charnelle entre lui et l'abime de la tristesse.
« Rana, tu peux t'envoler sur la lune... Regarde, elle veut bien de toi. »
Une expression d'apaisement parcourt le visage émacié de la Tombée du Ciel avant qu'elle ne s'éteigne à jamais.
« Rana, non... »
Le barrage de Naos cède et Althéa n'y peut rien, personne ne peut rien contre la mort.
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Tombés du Ciel
Proză scurtă"Et si on s'en allait ? -Et où est-ce qu'on irait ? -Sur la lune..." Althéa écoute les voix sous sa fenêtre sans jamais les voir et en secret elle projette aussi de s'en aller vers la lune, mais elle finit vite par se rendre compte que seul l'un d'e...