Chapitre III deuxième partie : les deux gardes

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Enfin habillée, je m'avançais sur la large route pavée menant à Hattusa. La ville, à mesure que je progressais devenait de plus en plus imposante. Ses pierres ocres semblaient luire sous le soleil rougeoyant. Son entrée était gardée par deux lions majestueux tout en pierres taillées, disposés de part et d'autre de la porte. Deux gardes hittites, à l'air patibulaire, étaient postés devant la citadelle. Impossible de pénétrer dans la cité sans les rencontrer. 


Celui de gauche était petit et possédait un ventre si imposant, qu'il s'appuyait sur le manche de son épée dont la pointe était plantée dans le sol, pour maintenir son équilibre. Celui de droite, grand, maigre et armé d'une lance et d'un bouclier, était tout son contraire. Les deux portaient des tenues similaires à celles de Zashai et Anty, à l'exception des casques en cuir qui ornaient leurs têtes.


Je jetai un rapide coup d'œil derrière moi et je sentis un souffle d'air glacé dans mon dos. Il fallait absolument qu'ils me laissent entrer. Je ne me voyais pas passer la nuit ici, seule dans la nature, à dormir à la belle étoile, sachant que cette contrée renfermait des tigres et sans doute bien d'autres dangers inconnus pour moi. Je commençai seulement à me rendre compte, depuis l'attaque du tigre, des conséquences sur ma vie qu'occasionnaient déjà mon voyage dans le temps. Je ne savais pas s'y j'étais suffisamment courageuse pour les affronter, ni même si je le deviendrais.


Zashai et Anty, le peu de temps durant lequel j'avais été en leur compagnie, avaient su me protéger, et bizarrement maintenant qu'ils n'étaient plus là, leur présence me manquait. Ils avaient beau m'avoir terrifié et agacé, la solitude dans laquelle je me trouvais à présent m'angoissait encore plus, dans ce territoire et cette époque où tout m'était inconnu. Comment allais-je m'en sortir ? Comment réussir à trouver ce fameux Halliyari dans une ville qui semblait aussi grande ? À quoi pouvait-il bien ressembler ? Sera-t-il gentil ? Cela m'affolais beaucoup.


J'avais dû mettre pied à terre ne parvenant pas à monter mon Kulan avec ma robe longue. J'étais véritablement déterminée à rentrer dans cette ville le plus rapidement possible. J'avançais donc en tentant de garder un visage impassible malgré les doutes qui m'envahissaient. J'espérais que les deux gardes m'ignoreraient et que je pourrais passer sans aucune difficulté. Mais, bien entendu, il n'en fut rien. Le rondouillard m'interpella avant même qu'un de mes pieds ne franchisse le seuil de la porte :

— Eh toi ! Je ne t'ai jamais vue ici ! Qui es-tu ? Me héla-t-il d'une voix forte.

— Je m'appelle Hélène... Lui répondis-je doucement.


Je n'eus pas le temps de poursuivre ma présentation qu'il devint rouge picon bière et me lança d'un ton dédaigneux :

— C'est bien un prénom de grecque ça ! Si ça se trouve, tu es une espionne. Hors de question pour moi de te faire rentrer dans la ville, tu es sûrement un danger. On a bien vu ce qu'il s'est passé avec Hélène de Troie. Ça fait seulement six mois que la guerre est finie, elle a duré dix ans ! Dix longues années ! Et puis, quand on voit les conséquences... On avait pourtant envoyé des troupes, des armes et des vivres aux Troyens, mais cela n'a pas suffi ! Agamemnon les a vaincus, maudit soit cet Ulysse, maugréa-t-il dans sa moustache.


Un long soupir s'échappa de ses lèvres tandis qu'il tentait de contenir sa colère.

— Maintenant que la ville a été brûlée, continua-t-il, nous avons perdu une grande quantité d'hommes valeureux, mais aussi un important partenaire commercial... Comme si nous avions besoin de cela, avec la guerre qui se prépare ! Rouspéta-t-il fort contrarié.


Je ne savais plus trop où me mettre, me balançant d'un pied sur l'autre, perturbée qu'ils me prennent pour une potentielle ennemie. La seule idée que j'avais en tête à ce moment précis, c'était de me mettre en sécurité, trouver un coin tranquille où passer la nuit. Lorsque le garde avait mentionné une possible guerre, je n'avais pu m'empêcher de tressaillir. Il fallait que je rentre chez moi au plus vite, ma survie en dépendait. Je lui coupais donc gentiment la parole en espérant que cela abrégerait son discours, pressée de me retrouver en sécurité derrière les remparts de la ville.

— Ecoutez, j'ai certes un prénom à consonance grecque, mais sachez que je viens de... De Gaule, hésitais-je, ne sachant plus très bien si la gaule existait déjà à cette époque. J'aimerais que vous m'accordiez l'asile, insistais-je, je chevauchais avec deux compagnons hittites quand un énorme tigre nous a subitement attaqués. À présent, je suis seule et ne pourrais pas me défendre, s'il vous plaît laissez moi entrer... Suppliai-je d'une voix légèrement tremblotante.


Les larmes me montèrent soudainement aux yeux en repensant à la terrible attaque et au sacrifice d'Anty. Le garde rondouillard lança un regard inquiet à l'autre, qui demeurait impassible. Mal à l'aise face aux larmes qui commençaient à couler sur mon visage et inquiet d'une possible proximité du félin, il s'enquerra :

— À quelle distance se trouve le fauve ?

— Environ deux heures de kulan, si j'en crois le parcours du soleil. Mais j'ai eu quelques moments d'absence durant la traversée, je ne peux donc pas l'affirmer...


Le garde eut l'air soudainement soulagé. Visiblement, il n'y avait rien à craindre ici.

— Avec qui étais-tu ? Me demanda-t-il en me souriant tentant d'être rassurant.

— Avec deux hommes se prénommant Zashai et Anty, fis-je en tournant le dos à la cité et en scrutant le paysage aux alentours, espérant toujours les voir arriver sains et saufs. Mais la route était déserte, à l'exception d'un chariot sur lequel se trouvait un vieil homme. Je me retournai donc, déçue, mais pas étonnée, vers les deux gardes.

— Mais pourquoi ne me l'as-tu pas dit plus tôt ? Vitupèra-t-il.


Il devint cramoisi ou peut-être était-ce un effet de son surpoids et de la chaleur combinés. Dans tous les cas il enchaîna d'un air inquiet :

— Dépêche-toi donc d'entrer, je ne veux avoir aucun problème avec le grand-prêtre !


Le garde s'écarta alors précipitamment, et me laissa pénétrer dans la cité. Alors que je venais de franchir les lourdes portes, je le vis se tournait vers l'autre garde et l'entendis bafouiller "c'est bien la première fois qu'un chevelu* pénètre dans notre ville, finalement, ils nous ressemblent beaucoup plus que je ne le pensais..." cela me fit sourire à travers mes larmes qui commençaient à se tarir.


***

chevelu*: la France était désignée comme chevelu par les autres nations dont les Romains à cause de ses très nombreuses forêts.

Qadesh ou la bataille pour la paixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant