Chapitre IV deuxième partie : Halliyari

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— Mort ? Répéta Halliyari le teint blême. Mais... Comment ? Parvint-il enfin à articuler avec difficulté au bout de plusieurs secondes.

— Un énorme tigre nous a attaqués à deux heures d'ici environ. Anty le combattait férocement, mais il a été grièvement blessé. Zashai à tenter de l'aider et m'a sauvée la vie. Il s'est jeté dans la bataille lui aussi.


Il me demanda alors de tout lui raconter en détail, de ma rencontre avec Zashai et Anty, à mon arrivée dans la ville. Lorsqu'il apprit le courage qu'avait eu le grand-prêtre devant le tigre et face à l'urgence de la situation, une lueur de fierté illumina son regard. Il semblait bien plus paisible. Il avait retrouvé des couleurs au fil de mon récit. Ses joues si blanches au moment de l'annonce de la mort présumé de Zashai, étaient à présent bien roses, son visage plus lumineux et avenant.


Il me regarda alors droit dans les yeux et me dit :

— Ne t'inquiète pas trop, Zashai est avec Anty, c'est un esclave fort et courageux, il a déjà affronté trois tigres de la Caspienne par le passé. Il a toujours survécu et vaincu les fauves. Je suis sûr qu'ils sont en route à présent. Nous allons les attendre chez moi, ainsi, ils sauront où nous retrouver, d'autant plus que tu as besoin de sommeil après toutes ces aventures. Demain, je ferais porter un message au palais pour que tu puisses rencontrer la reine, comme le souhaitait mon maître. Ne t'inquiète pas, je t'accompagnerai, même si je suis certain qu'au levé du soleil, nos deux héros seront rentrés.


Je ne répondis pas, n'étant pas aussi confiante que lui concernant l'avenir plus qu'incertain des deux hommes. Nous déambulions dans les rues animées d'Hattusa depuis une trentaine de minutes. J'entendais les marchands vanter leurs produits avec exubérance, les enfants jouer sur le parvis du temple et le son pure des lyres qui résonnait un peu partout dans la cité.

Nous passâmes par de nombreuses ruelles et devant quantité d'habitations avant qu'il ne se stoppa.


Rien ne distinguait la bâtisse devant laquelle il s'arrêta des autres. Mitoyenne, elle était construite de briques crues. Lorsque nous entrâmes, une odeur âcre de bois brûlé et de fumée envahit mes narines. Je repérai vite l'origine de cette fragrance : un foyer était allumé au centre de la pièce d'où émanaient quelques fumerolles éparses qui voletaient vers le plafond en formant d'épaisses volutes. Ce dernier était percé d'un large orifice permettant une bonne aération de l'unique pièce de la maison. Celle-ci était suffisamment grande pour toutes les activités quotidiennes. Séparé par un paravent en bois, un dortoir contenant plusieurs paillasses se trouvait au fond de la pièce. Halliyari y installa quelques couvertures afin de rendre l'endroit plus confortable avant de se rendre dans l'espace cuisine.


— Comment as-tu connu Zashai ? Demandais-je tandis qu'il disposait sur une grande table de bois des écuelles et des gobelets.

— Eh bien... Commença-t-il en rougissant. C'est une longue et très banale histoire, tu sais, je pense que ca peut attendre demain. Tu ferais mieux de manger et de vite dormir, me conseilla-t-il.

— J'aimerais beaucoup l'entendre. Je n'ai pas sommeil, affirmais-je.

— Vraiment ? Demanda-t-il l'œil moqueur.


Bien sûr que j'avais sommeil et Halliyari avait bien vu ma fatigue. Mais j'avais trop peur de fermer les yeux, que le silence et le noir m'enveloppe me laissant seule avec mes pensées, mes cauchemars.


Halliyari soupira devant mon air buté. Après avoir coupé deux épaisses tranches du pain qu'il avait acheté au marché tout à l'heure, il m'en donna une tartine avant de s'installer sur la paillasse à côté de moi.

— Bon, puisque tu ne sembles pas vouloir faire un somme, je veux bien te raconter mon histoire, d'autant plus que cela t'endormira certainement, m'avertit-il en souriant. Je suis né il y a 19 ans dans cette ville, commença-t-il la voix hésitante. Tu dois connaître le principe de l'exposition, je suppose ?


Je secouai négativement la tête ne sachant pas de quoi il parlait.

— Eh bien, ici, lorsqu'une femme met au monde un enfant, il est d'abord présenté au père, qui décide alors soit de le garder, soit de l'exposé ou bien encore de le tuer. À vrai dire, plusieurs facteurs peuvent intervenir lors de la décision. Un enfant chétif, peut par exemple être un motif de rejet. Le physique de l'enfant est donc important dans la décision, mais aussi son sexe. Une fille coûte cher à marier et ne rapporte rien, ne pouvant aider dans les travaux fermiers ou les affaires par exemple, m'informa-t-il le regard dans le vague. Mais une dernière condition peut entrer en ligne de compte, c'est le nombre d'enfants déjà existant et vivants dans la famille. Plus il y en a, plus cela est onéreux à nourrir, à habiller, à éduquer... Ainsi, on constate que les nobles ont bien souvent pas plus de trois enfants, souvent de sexe masculin afin de perpétuer l'héritage et le nom. Les paysans quant à eux, en ont bien souvent une dizaine et ne parviennent pas à tous les élever. Il faut savoir que la majorité des bébés exposés ne survivent pas.


Il s'interrompit quelques instants avant de prendre une grande inspiration, les yeux fixés au plafond. Quant à moi, je tentais péniblement de garder de les garder ouverts. Alors que j'allais m'enfoncer dans le sommeil, il poursuivit :

— Moi, je ne sais pas pourquoi mon père m'a exposé, mais j'ai eu beaucoup de chance. Il aurait pu me laisser aux tigres, mais il m'a placé au centre de la ville haute, près du quartier historique, où se trouve une grosse pierre. C'est l'endroit où les parents abandonnent leurs enfants. Certains sont recueilli par des familles ne pouvant en avoir, d'autre comme moi, sont élevés dans l'objectif de pratiquer un métier.

— C'est pour ça que Zashai t'a recueillit ? Murmurais-je encore happée et émue par son récit.

— Je pense, répondit-il. Peut-être avait-il également peur de la solitude. J'ai eu beaucoup de chance. Une fois qu'il m'eut trouvé, il fit de moi son fils et m'enseigna l'art de la prêtrise. Lorsqu'il découvrit mon don et mon amour de la musique, il m'offrit un instrument et m'enseigna le chant. Il ne m'a jamais forcé à être grand-prêtre et je lui en suis très reconnaissant. Je ne veux pas de telles responsabilités, je veux m'amuser, chanter, danser... Tu sais, si je suis la personne que tu as face à toi aujourd'hui, c'est grâce à lui. Je lui serais éternellement reconnaissant de ce qu'il a fait pour moi. Il m'a offert un nom, une éducation, un travail, mais surtout une famille.


Un long silence s'installa et nous finîmes par nous endormir bercés par le bruit du vent qui s'engouffrait par le toit et par la douce lumière vacillante de la bougie qu'avait laissé Halliyari sur le rebord de la fenêtre.

Qadesh ou la bataille pour la paixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant