Chapitre III première partie : le tigre de la Caspienne

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Un tigre, toutes griffes dehors, jaillit des fourrés et se précipita sur Anty. Il s'élança si vite qu'il ne lui fallut que quelques dixièmes de seconde pour parvenir jusqu'à nous, trop rapide pour que je ne le voie. Anty eut Juste le temps de se saisir de sa hache en hurlant et d'écarter les jambes afin de se donner une stature plus imposante.


Les cris émis semblaient perturber et énerver le félin qui ne cessait de feuler, son ouïe étant particulièrement sensible. Mais il demeurait redoutable. Anty eut juste le temps de faire un roulé-boulé de côté afin d'éviter la masse monstrueuse qui allait s'abattre sur lui.


Se relevant avec agilité, son arme à la main, il se jeta sur le tigre s'agrippant à ses flancs poilus. Il était à présent à califourchon sur la bête, tentant de lui asséner un violent coup de hache sur la nuque. Mais le tigre bougeait trop et bientôt le guerrier fut désarçonné et tomba au sol violemment.


Zashai, voyant son ami en mauvaise posture, et connaissant l'importance de la mission qui lui avait été confié par la reine Puduhepa, me prit la main et me répéta tout tremblotant :

— Toujours tout droit, nous te rejoindrons le plus vite possible. Tout ce dont tu as besoin est dans la pochette attachée côté gauche de ton kulans. Change-toi avant d'arriver en ville. Trouve Halliyari ! Trouve mon apprenti ! Il saura t'aider !


Avant que je n'ai eu le temps de réagir, il tapa avec force sur la croupe de mon destrier qui sans attendre, terrifié depuis l'arrivée du tigre, put enfin s'élancer n'étant plus retenu par la main de Zashai.


Tournant la tête, je le vis saisir une lance et se lancer dans la mêlée farouchement. Bientôt, ils disparurent de mon champ de vision.


Le paysage, alors défila sous mes yeux pleins de larmes. La peur et la détresse me nouaient le ventre, ma respiration était entrecoupée et mon sang qui n'avait fait qu'un tour était glacé. Le temps sembla se déformer et les distances se prolongeaient inexplicablement. Les secondes me parurent des minutes et lorsqu'un hurlement non loin de moi retentit, presque inhumain tant la souffrance y était palpable, je revins brutalement à la réalité. Une réalité si sombre que mon cerveau ne semblait pas vouloir l'accepter.


Ce hurlement presque bestial, provenait d'Anty, qui, pour nous protéger, était en train de se sacrifier. Je ne ressentais à présent plus que de l'effroi et de la honte de les avoirs laisser seuls tous les deux. Mais je n'aurais rien pu faire, mon courage s'était réduit comme peau de chagrin, je n'avais ni armes ni stratégies guerrières. Je n'aurais fait que les encombrer. Mon sentiment d'impuissance était à son paroxysme.


Tentant de me convaincre du bien-fondé de ma fuite, je poursuivais mon chemin sur la route rocailleuse menant à Hattusa. L'air me cinglait le visage, l'âne galopant rapidement comme s'il faisait la course avec le soleil. Celui-ci descendait de manière inexorable et une obscurité relative semblait déjà épouser les lieux. Il ne restait qu'une heure ou deux avant que la nuit engloutisse tout. Or, la ville n'apparaissait toujours pas. Pourtant, Zashai m'avait dit que nous en étions proches. Les minutes défilaient et tandis que mon kulans perdait peu à peu de la vitesse, une torpeur commença à me saisir. Je me sentais sur le point de défaillir. Il fallait que je me reprenne au plus vite.


À mesure que nous avancions, le paysage changeait, se décolorait. L'épaisse forêt où je me trouvais encore à la lisière la veille me semblait bien loin. À présent, de grandes étendues parsemées de collines se dévoilaient petit à petit, et les arbres cédaient la place à des steppes d'herbes sèches et de rocaille. Un doute commença alors à s'immiscer, comment une capitale pouvait-elle s'être développée dans un décor aussi aride et inhospitalier ?


Pourtant, au bout d'à peine une trentaine de minutes, apparurent sous mes yeux ébahis de hautes murailles de couleur ocre qui se confondaient merveilleusement bien avec la couleur du sol. La cité ne semblait faire qu'un bloc, et ses hautes tours carrées avançaient en saillie semblaient toucher le ciel. Hattusa semblait indestructible et bâtie pour la guerre. Une route commençait à se dessiner doucement sur le sol. Je distinguais sans peine les larges sillons laissés par les roues des chars et des carrioles dans le sable. Bientôt, la terre battue laissa place à une grande avenue pavée, menant directement aux portes de la cité. La ville était un véritable témoignage de la force guerrière des Hittites.


Mon âne se mit brusquement à braire, me ramenant subitement à la réalité. Le pauvre était complètement épuisé par notre course, de la mousse perlait à ses lèvres tandis que tout son corps luisait de sueur. Les jambes engourdies, je descendis avec peine de ma monture et l'entraînait vers un recoin à l'abri des regards. Me rappelant les paroles de Zashai je me mis à chercher frénétiquement dans les sacoches sanglées sur mon kulans. Une longue robe blanche style empire s'y trouvait ainsi que des broches dorées, que je revêtis immédiatement. Il valait mieux passer inaperçu, je ne souhaitais pas attirer l'attention, tout cet univers m'était inconnu, et je me demandais bien ce que la découverte de la ville d'Hattusa me réservait encore. Il fallait absolument que j'y rentre et que je trouve la personne répondant au nom d'Halliyari...


D'un pas décidé quoiqu'encore chancelant, je partis en direction de la cité.

Qadesh ou la bataille pour la paixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant