Chapitre II première partie : la cosmogonie

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 À mon réveil, ce qui me déstabilisa d'abord fut l'élancement lancinant et aiguë que je ressentais à l'arrière de mon crâne. Mais le plus étrange, c'étaient les odeurs. Des fragrances terreuses et végétales qui embaumaient l'air. Le soleil, ardent, chauffa mon corps crispé. Je savais que je ne rêvais pas, mes sens ne pouvaient mentir, mais je n'osais pas ouvrir les yeux trop angoissée de découvrir l'identité de mes ravisseurs. Car il ne pouvait s'agir que des deux hommes qui me guettaient depuis plusieurs semaines déjà. Je me souvins soudain de leurs silhouettes menaçantes que j'avais entraperçues dans une ruelle. Je ne pus m'empêcher de frissonner de peur à ce souvenir.


— Regarde, elle a bougé ! S'exclama une voix rauque masculine ,tu vois, tu t'en fais trop Zashai ! Continua-t-il d'un air enjoué.

— C'est un miracle que tu n'ais pas tapé trop fort avec le manche de ton khépesh*, la reine compte sur nous pour la lui ramener en parfaite santé. Heureusement que les dieux sont avec nous, avec le sacrifice que j'ai officié pour Teshub*, elle ne devrait pas tarder à se réveiller, déclara une seconde voix plus douce et confiante.


La voix du deuxième homme était plus calme, un peu inquiète. Au moins leur objectif n'était pas de me tuer et ça, c'était appréciable. Par contre, je ne comprenais pas le but de cet enlèvement. Je n'avais qu'une envie : prendre mes jambes à mon cou ! La seule chose qui me soulageait, était de constater que nous parlions la même langue. J'attendis quelques instants avant d'ouvrir les yeux, un peu effrayée. Lorsque je le fis, la lumière du soleil fut si brillante que je dus attendre quelques secondes afin que mes yeux s'y habitus. Lorsqu'enfin mes prunelles se furent acclimatées, je pus découvrir un ciel magnifique sans aucun nuage et d'un bleu profond. Il faisait  assez chaud, mais l'air était humide, ce qui le rendait difficilement respirable et aggravait mon sentiment d'étouffement. Je pris de grandes respirations afin de me calmer et me mis à examiner les alentours de manière plus approfondis. 


Un képesh ? Teshub ? Leurs mots ne signifiaient rien pour moi. La seule chose que j'avais réellement comprise, c'était qu'ils ne comptaient pas me tuer ou me faire souffrir. Mais pourquoi m'avoir enlevé ? Qui était cette mystérieuse reine ? Je n'avais qu'une envie, prendre mes jambes à mon cou ! J'attendis quelques instants avant d'ouvrir les yeux, le temps de rassembler mon courage.


Tout d'abord, je fus surprise de distinguer de grands arbres s'élevant dans le ciel notamment des cèdres et des pins d'une hauteur vertigineuse. Puis, en tournant la tête, je trouvais un feu de camp avec une sorte de marmite en terre cuite posée à même le feu. Deux hommes m'observaient ; ils ne savaient visiblement pas comment réagir à mon réveil soudain. Ils se tenaient debout à quelques mètres de moi, les jambes légèrement écartées, prêts à agir.


Tout en les fixant affolée je m'asseyais. La douleur de mon corps longtemps couché sur ce sol dur et celle de ma tête se réveillèrent avec vivacité.

— Aie ! M'écriais-je.

— Nous sommes vraiment désolés, Anty à tapé plus fort que je ne le souhaitait. Je me présente, je m'appelle Zashai, grand-prêtre du temple de Teshub, m'apprit le vieil homme avec plein de fierté et de sérieux tout en grattant nerveusement sa tête dégarnie.


Je ne savais plus trop si je devais rire ou bien pleurer. Je n'avais aucun repère et tout me semblait fou et flou, que ce soit le climat, le lieu ou encore leurs accoutrements. J'étais perdue et j'avais face à moi un "prêtre" vieux et frêle qui semblait tout droit sortis d'un péplum.

— Puis-je savoir où nous nous trouvons ? Questionnais-je complètement désorientée.

— Actuellement, nous sommes dans la région du Hatti, me renseigna celui qui se faisait appeler Zashai.


Je vous avouerais que son explication ne me fit que plus plonger dans la perplexité. Le hatti ? Ça ne me disait rien du tout, j'avais beau essayé de me remémorer mes cours de géographie, je ne me souvenais pas ne serait-ce que de la mention d'un tel lieu. Je n'en avais jamais entendu parler, même pas à l'eurovision ou pendant la coupe du monde de football. Ce devait être un territoire insignifiant et peu peuplé.


— C'est à combien de kilomètres de Paris exactement ? M'enquiers-je alors un peu paniquée.


 Le pauvre homme, celui qui m'avait répondu, vit bien que j'ignorais tout de cette contrée. Il prit une grande inspiration, se redressa et me dit d'un ton enthousiaste :  

— Le Hatti comme tout le monde le sait, est la région qui entoure notre grande et prospère ville d'Hattusa construite il y a environ 500 ans. Mais pour commencer, il est nécessaire d'appréhender le monde suivant notre cosmogonie. Car oui, notre terre est une terre mystique ! Elle est née lorsque le premier croissant de lune est apparu dans le ciel. L'obscurité a engendré la terre et la lumière a donné naissance aux étoiles si brillantes du ciel. Il faut savoir que notre monde est divisé en trois : le ciel, la terre et le sous-sol où descendent les âmes une fois libérées de leurs corps terrestres. Tu parviens toujours à suivre ? 


Il me vit hocher la tête sans conviction et poursuivit: 

— Avec cette apparition de la terre en opposition avec le ciel et grâce à la luminosité des étoiles et de la lune naquirent différentes espèces dont la nôtre. Aujourd'hui certains, comme moi, remercions et honorons les dieux qui ont permis notre existence. Nous devons les servir quoi qu'il arrive. Il est important que tu comprennes notre mode de vie et nos croyances pour que tu t'intègres dans notre société, mais aussi que tu te comportes correctement face à la famille royale et aux serviteurs des dieux qu'à l'avenir, tu auras l'occasion de rencontrer.


J'en étais bouche bée. Ce discours n'avait fait que naître davantage de questions dans ma tête.

— Mais où sommes nous ? Comment suis-je arrivée jusqu'ici ? Est-ce qu'au moins nous sommes toujours en France !? Et qui êtes-vous  ? 


J'avais prononcé toutes ces phrases sans reprendre mon souffle, le cœur battant et ma respiration entrecoupée, souhaitant des réponses le plus vite possible.


 La réponse à cette dernière question me remplissait de terreur et me taraudait, j'étais comme parcouru de frisson malgré la chaleur étouffante qui régnait au sein du campement. Je sentais que je n'étais pas à ma place. Tout était trop décalé : leurs vêtements, leurs outils, leurs vaisselles... Et j'avais très peur de découvrir les raisons de mon enlèvement. Je pensais, sans doute bêtement, qu'une fois que je les connaîtraient mieux je pourrais élaborer un plan d'évasion plus facilement. Il me suffirait d'attendre le bon moment et de connaître leurs habitudes avant de m'échapper vers la forêt, où ils auraient bien du mal à me retrouver vu la végétation luxuriante. Ensuite, je n'aurais plus qu'à retrouver la civilisation... Et pourquoi pas rappeler ce très cher monsieur l'inspecteur...


***


khépesh : arme inventé par les égyptiens et utilisée durant l'antiquité. Façonnée dans du bronze elle possède une lame recourbée en demi-cercle.

Teshub : dieu de l'orage et grand chef du panthéon hourrite.

Qadesh ou la bataille pour la paixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant