Chapitre IV première partie : Hattusa

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Tandis que je pénétrais au cœur de la ville, des odeurs affluaient et chatouillaient mon nez. Tout était si bigarré et amplifié que ce soit les couleurs vibrantes et chatoyantes ou les effluves épicées et sucrées qui me parvenaient.


Malgré l'obscurité qui tombait sur ce marché grouillant de gardes, de prêtres, de boulangers ou encore d'enfants, je m'évertuais à avancer, tenant fermement le licol de mon âne. La musique, à la fois proche et lointaine, s'emmêlait autour des murmures de la foule, envoûtant mes oreilles. Je sentais l'odeur des fleurs, des fruits et des légumes disposés sur les étals. Je n'aurais jamais cru qu'un marché antique était si vivant et si semblable à ceux qu'on trouvait aujourd'hui. Une trentaine de temples étaient disposés dans la ville, bien plus imposants que les habitations, si bien qu'on les distinguait sans peine tant ils s'élançaient haut vers le ciel. 


Un seul édifice dépassait tous les autres : un gigantesque palais à flanc de muraille taillé en briques crues. Il était vraiment magnifique et se trouvait encadré de deux garnisons de garde, qui n'avaient absolument rien à voir avec ceux qui m'avaient accueillie aux portes de la ville. Ceux-là étaient bien plus forts et musclés, d'épaisses cuirasses protégeaient leur poitrine et de nombreuses armes attachées à leurs ceintures scintillaient sous les rayons du soleil.


Je me sentais perdue dans tout ce tumulte et je progressais lentement dans la cité me laissant guider par les sons si vibrants des lyres, dont les cordes étaient pincées par de jeunes hommes assis sur les marches du plus grand temple de la ville. Des joueurs de tambours, mais également quantité de chanteurs égayaient de manière continue les lieux et les tympans des Citadins.


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Point de vue d'un hittite inconnu :


Je tentais de me concentrer sur les sons qu'émettait ma lyre et sur le positionnement de mes doigts sur ses cordes lorsque mon regard fut attiré vers une jeune femme qui semblait perdue au milieu de tous les badauds du grand marché. Elle ne semblait pas être originaire de la région et visiblement, ne connaissait rien de nos coutumes comme en témoignait sa robe mal positionnée. Les plis auraient dû être devant, et non pas sur les côtés. De plus, elle s'était bien trop couverte. Les femmes ici, aiment montrer leurs poitrines, signe de fécondité. Elle était autant vêtue qu'une prêtresse ! Je l'observais déambuler dans la ville et s'approcher progressivement du grand temple consacré au Dieu de l'orage Tarhu, chef du panthéon des mille dieux du Hatti. 


Quant à moi, j'étais assis tranquillement sur les marches près de l'entrée de l'édifice où j'étais censé améliorer mes talents de musicien, dans le but de faire plaisir à Zashai. Il m'avait dit : "je pars, profites-en pour réviser, sinon tu n'auras aucune chance de devenir prêtre-chanteur ! Et pas la peine de protester, on ne peut pas t'emmener". Cela avait eu le mérite d'être clair, je n'avais même pas émis de réticence. Être le disciple du grand-prêtre n'était pas chose aisée, les contraintes étaient nombreuses, mais c'était aussi et surtout un immense honneur. Soudainement, l'inconnue se retourna de mon côté, laissant son regard vagabondé sur les marches où j'étais installé. Elle était belle, c'était indéniable.


Assez grande et élancée avec des cheveux longs et bouclés noisette, parsemés des reflets roux. Intéressant comme couleur, songeais-je, c'était très rare ici de voir des femmes ne possédant pas de cheveux noir de jais ou bien brun foncé. Elle semblait aussi perdue que fascinée. Je soupirai. Impossible de laisser une demoiselle en détresse, ce n'était pas digne d'un futur émissaire des dieux. Comme disait Zashai : "plus tu es proche des hommes et plus tu es près des dieux". Très bien. Je posai ma lyre à califourchon sur mon épaule grâce à la longue sangle me permettant de la transporter en bandoulière et me dirigeais tranquillement en direction de la belle inconnue.


À mesure que je m'approchais, je distinguais de manière plus nette ses traits, qui étaient soit dit en passant assez fins. Elle marchait en faisant de petits pas, d'une démarche mal assurée. Étrangement, son visage me rappelait quelqu'un... Pourtant, j'étais certain de ne l'avoir jamais croisé, elle n'avait pas un physique qui s'oubliait. Je tentais de fouiller dans ma mémoire, mais mise à part cette insolite impression de déjà-vu, rien ne me revenait clairement. Je devais être fatigué.


Elle regardait les étals avec avidité, sans doute affamée, mais ne semblait pas avoir de quoi payer ni connaître nos spécialités qu'elle observait avec curiosité. J'étais à présent à quelques centimètres d'elle, nos bras se touchaient presque.


***

Point de vue d'Hélène :


Je ne vis le jeune homme qui s'était approché subrepticement de moi que lorsqu'il interpella le vendeur de l'étale :

— Huthuddāla donne-moi donc une portion de Ninda Gur Ra et du beurre d'abricot s'il te plaît.

Je remarquai tout de suite sa voix calme et chantante, si agréable et douce à écouter.

— Cela fera deux lingots de fer, dit d'une voix rustre le boulanger.


Il lui tendit la monnaie et l'homme lui remit les aliments bien emballés dans de grandes feuilles d'arbres. C'est alors qu'il se tourna vers moi de manière totalement incongru et se présenta :

— Salut, je m'appelle Halliyari futur prêtre-chanteur (il passa sa main dans ses cheveux bouclés tandis qu'un superbe sourire s'épanouissait sur ses lèvres) pour vous servir magnifique demoiselle !


Je le vis me tendre un petit pain et une sorte de confiture d'abricots très épaisse. Mais j'étais trop choquée pour les saisir.

— Halliyari ! L'apprenti de Zashai ! M'exclamais-je alors, me rappelant les paroles du grand-prêtre et rassurée que l'on se soit retrouvés si rapidement.

Qadesh ou la bataille pour la paixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant