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Je me souviens que cette journée avait parfaitement commencé. Les clients qui se succédaient étaient des habituelles, des gens que je connaissais et que je trouvais sympathiques. On pourrait croire que dans une librairie de quartier, les clients sont toujours sympathiques, mais non. J'ai déjà eu des abrutis, pour rester un minimum poli. Avez-vous déjà été rabaissé par quelqu'un que vous ne connaissez pas, pour une raison presque futile ? Ce n'est pas agréable. La première fois, je l'ai très mal vécu. On pourrait croire aussi que je m'en souviendrais parfaitement mais non, je me souviens juste de la bouche de cet homme qui postillonnait tellement il hurlait. Je ne me souviens même plus de la raison, je me souviens juste que j'ai essayé de rester poli, mais que l'homme continuait de crier, comme si crier était une massue dont il se servait pour me rabaisser jusqu'à ce que je m'écrase. Je suis resté stoïque, et je n'avais aucune répartie. J'ai bien trouvé après coup, des phrases parfaites à dire, mais l'homme était depuis longtemps parti.

Ce qui en est resté, c'est cette remarque qui n'est jamais vraiment partie, cette image que les gens cachent dans leur dos une massue. Pourquoi les gens ont-ils besoin d'être si méchants ? Pourquoi les gens trouvent-ils toujours meilleur de crier et de s'énerver ? S'excuser est-il si difficile ? Essayer de comprendre la position de l'autre est-il si insurmontable ?

J'ai vécu avec cette image qui me suivait comme une ombre sournoise pendant la majeure partie de ma vie. Elle s'appliquait tout le temps. Je voyais les autres crier entre eux, dans la rue, dans les boutiques, au supermarché. Pour des broutilles. Chez mes parents, c'était pareil. Je n'arrivais pas à comprendre pourquoi il était plus facile de sortir cette massue, après toute la bonne morale qu'on pouvait voir dans les films.

Alors j'essayais. Je m'excusais quand je le devais, j'assumais mes erreurs et j'essayais d'être gentil dès que je le pouvais. Je me souviens d'une fois au supermarché, j'étais avec mon caddie et la dame devant moi s'est arrêtée brusquement. Il y avait du monde, j'étais proche d'elle, c'est vrai, et je lui suis rentré dedans. Mon erreur. J'ai dû dire quelque chose comme ça :

- Oh, pardon. Désolé. Vous allez bien ?

Et je me souviens de cette dame qui s'est retournée vers moi. Elle n'avait pas dû avoir mal, je n'allais vraiment pas vite, mais elle a hurlé contre moi. Au lieu d'accepter mes excuses qui étaient sincères et de pardonner mon erreur, elle a pris la massue à cri et m'a frappé avec, devant tout le monde. Je me suis excusé encore, puis elle est partie en m'insultant. Je passe probablement pour un faible, mais je suis resté abasourdi. Quel était son intérêt ? Cela ne m'a pas empêché, un autre jour, quand la situation était inversée, de rester calme. Pourtant, le type qui m'est rentré dedans avec son caddie ne s'est même pas excusé. Aurais-je dû m'énerver comme la dame l'avait fait ? Encore, je n'en voyais pas l'intérêt. Je voulais juste des excuses sincères qui ne sont pas venues. Ma gentillesse passera sûrement à vos yeux pour de la faiblesse, et je commençais à haïr ce monde qui voyait ainsi. Je luttais même pour ne pas changer mon regard.

Plus j'observais, et plus je voyais les gens attraper la massue à cri et frapper. C'était sûrement plus facile, mais je repoussais l'idée de saisir la mienne. J'appris à supporter la massue, j'essayais d'être indifférent. Je l'étais peut-être à l'extérieur, c'était beaucoup moins facile à supporter dans mon esprit. Mais je restais fidèle à mes principes, quoi que quiconque en dise.

Durant cette fin d'après-midi de février, le soleil se couchait, et je savais que la fin de ma journée se terminerait. J'étais seul dans la librairie, j'avais la responsabilité de fermer, et les clients n'arrivaient plus, sûrement repousser par le froid mordant.

Je commençais à être inquiet, j'avais un rencart ce soir. Quelqu'un rencontré sur internet. La machine à clichés commença à s'activer. J'étais un grand timide, je ne savais pas rencontrer de personne en réalité, et je m'étais tourné vers les sites comme la plupart des gens de mon âge. Je détestais ce principe, mais je n'avais pas vraiment le choix. J'avais déjà eu des rencarts, et ce n'avait pas été très palpitant. J'avais tellement peur qu'on ne puisse pas m'apprécier que je revêtais le costume de quelqu'un que je détestais. Je n'arrivais pas à m'y faire, le costume revenait comme une deuxième personnalité qui n'attendait que les rencarts pour prendre la place. Mais j'appréhendais, et les plus folles histoires commençaient à émerger dans mon esprit ? Et si je tombais plutôt sur psychopathe, quelqu'un qui voulait me séquestrer et me tuer comme on voyait dans les films. Je chassais cette pensée d'un revers de la main, je devais laisser ma stupidité de côté.

Dans dix minutes, ce serait la fermeture. Il n'y avait personne, et personne dans la rue. Je ne voulais pas être en retard pour ce soir, je décidais de commencer à fermer la caisse, ranger mes classeurs d'anatomie et je fermais la porte de devant à clef. Je passais toujours par la porte de derrière, il y avait un parking pour ma voiture.

Justin et le manteau noirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant