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La solitude est un manteau noir qui vous enveloppe et qui vous empêche de voir au loin, de voir les autres. La solitude pour moi était un poison, une addiction, un sentiment que je haïssais mais que je ne pouvais m'empêcher de souhaiter. J'étais seul, complètement, et je ne voulais voir personne. Je me noyais dans mes pensées, dans mon chagrin et dans cette question qui ne cessait de trotter dans ma tête. Et si je n'avais pas survécu ? Survivre à ce jour était une chose. J'étais en vie, tous ceux autour de moi ne cessaient de me répéter quelle chance j'avais, et pourtant, je ne ressentais aucune gratitude. J'avais survécu à ce jour, mais j'avais ce sentiment atroce que ma vie s'était arrêtée et que je ne pourrais plus jamais vivre. Survivre pour moi n'était pas d'échapper à la mort, survivre pour moi, c'était trouver ce courage de continuer à vivre malgré ce manteau noir sur les épaules.

C'était arrivé un samedi, en hiver. Je m'en souviens car la nuit tombait vite. Je me souviens m'être dit que je passerais toute la journée enfermé à la librairie et que quand j'aurais fini, il ferait nuit.

J'étais étudiant en médecine, en troisième année mais je travaillais le samedi dans une librairie de la ville. Elle était tenue par un ami de mes parents, un vieux et gros monsieur sympathique du nom de Robert. Imaginez-le prononcé avec un bel accent de vieux monsieur un peu porté sur la bouteille. Travailler à la librairie me faisait plaisir. Elle avait ce charme de l'ancien, un peu comme les vieilles bibliothèques dans les films, et elle sentait fort le papier, une odeur que j'adorais. Mon travail consistait surtout à m'occuper des clients et à ranger les livres, mais il n'y avait pas beaucoup de monde, ce qui me permettait souvent d'apprendre mes nombreux cours.

Étudier la médecine n'était pas ce à quoi je m'attendais, mais c'était la seule chose à laquelle j'avais pu penser quand, en terminal, on nous avait imposé de choisir nos universités. J'avais toujours aimé la biologie, et ma mère me répétait sans cesse :

- Justin, il faut que tu te trouves un métier, un métier que tu pourras garder toute ta vie, que tu aimes et si possible qui gagne pas trop mal.

Quand j'étais au lycée, écrire n'était qu'un passe-temps, lire n'était qu'un loisir. Je lisais énormément déjà, et je me souviens de la première fois que j'ai lu un livre, un qui m'a réellement transporté. C'était un devoir obligatoire de ma professeure de français quand j'étais en sixième. J'avais alors onze ans, peut-être douze, et je me souviens avoir pris au hasard le livre du monde de Narnia dans la bibliothèque du collège. Célèbre maintenant grâce au film, je n'en avais jamais entendu parler à l'époque. Je l'ai lu, par obligation, mais je retournais vite à la bibliothèque pour en chercher la suite. Écrire m'est venue grâce à cette même professeure de français. Je suis sur qu'elle ne se souvient même plus de moi, alors que pour moi, je suis sûr que je m'en souviendrais toujours ; c'est elle qui m'a inspirée. Elle nous a donné un devoir pour nous expliquer les grandes étapes d'un récit. « Situation initiale, élément perturbateur, etc. jusqu'au dénouement ». Même encore maintenant je m'en souviens bien. Cela vous fera certainement rire de savoir que j'avais eu une très mauvaise note, mais ma passion était lancée.

Collège et lycée, j'ai écrit, beaucoup. Alors, pourquoi avoir fait des études de médecine ? Car les matières littéraires étaient ma bête noire. Je n'y arrivais tout simplement pas, et je n'aimais pas. Les choses auraient été certainement différentes si je recommençais le lycée avec ma maturité actuelle. Je préférais comprendre le fonctionnement du corps humain et résoudre les équations mathématiques. Devenir médecin était un métier, se tracer un futur stable, et faire une chose que j'aimais. Écrire, c'était une passion, un rêve sans garantie, un fantasme et je n'y étais pas aussi doué que pour les problèmes scientifiques.

Me voilà donc en cette journée de février, dans un lieu qui assouvissait une passion, à travailler mon futur métier. La parfaite métaphore entre le cœur et la raison.

Justin et le manteau noirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant