À la fois excédée et bouleversée, Catalina claqua la porte de sa chambre d'une force insoupçonnable. Ses yeux, emplis de larmes, se plissèrent face à la lumière traversant ses fenêtres. Elle referma brusquement les rideaux, préférant se tapisser dans l'ombre de ses doutes et ses regrets.
Comme elle regrettait son frère ainsi que cette belle époque passée avec lui. Elle se souvenait de chaque détails de son visage, chaque expressions qui lui étaient similaires. Ses câlins, ses sourires, elle se remémorait Erlann tel qu'il était : un frère doux et attentionné. Rien que d'y repenser, la lady sentit ses jambes vaciller sous le poids écrasant de ses souvenirs. Son regard s'embua plus encore et elle fut forcée de glisser sur son lit.
Son frère avait été tout pour elle : un jumeau aimant comme son plus fidèle ami.Mais il était parti – trop tôt –, laissant derrière lui sa sœur désemparée et la désolation de ses jours perdus. Ainsi qu'un trou noir, vide. Béant. Encastré dans la poitrine de sa jumelle.
Erlann.
Ce doux prénom obstruait le fil de ses pensées et une rage viscérale s'empara d'elle. La jeune femme se sentait à présent faible et désarmée, impuissante face au destin, face à tout cet amas de souvenirs embrouillant son esprit. Elle ne savait plus quoi faire, quoi penser. Ni à qui en vouloir. Et cela la perturbait et l'excédait à la fois.
Elle s'en voulait, d'une part, d'avoir agi excessivement et de façon aussi brutale. Mais de l'autre, elle avait été profondément blessée et trahie. Le fait de déballer de manière aussi laconique leur tragédie avait fait naitre en elle un sentiment d'ulcération. Comme si la lady avait été la seule attristée et que personne n'aurait pu comprendre sa peine.
Et malheureusement c'était vrai. Après tout, il était son jumeau à elle. Le lien qui les unissait avait été plus fort que tout et entretenu grâce à leur complicité et leur sang. Pas même Daphné n'avait pu se joindre à eux. Ils avaient toujours étaient seuls dans leur bulle d'enfants rieurs, entretenant des relations fraternelles si puissantes que seule la mort pouvait couper.
Et c'est ce qu'elle fit.
Catalina comprenait peu à peu que tous avaient tournés la page sur ce tragique accident, sauf elle. Et qu'elle seule en souffrait.
Des images d'Erlann l'envahirent soudain. Malade, souffrant, le visage cadavérique. Frêle et pâle, le front moite, il toussotait gutturalement, sa respiration empreinte de crachats. L'ambiance était lourde et pesante, transcendée des expectorations du jeune homme et des quelques sanglots des personnes présentes dans la pièce. Elle visualisait sa petite famille, vêtue toute de noire, attroupée devant le lit du malade. Un médecin était venu expressément, essayant tant bien que mal de calmer les douleurs erratiques d'Erlann. Sa famille étant catholique, un prêtre avait été amené. Il s'était chargé de purifier le mourant d'eau bénite et de lui faire articuler quelques prières et confessions pour préparer sa venue au ciel, pensant superstitieusement que cela aiderait. Mais après quelques heures passées dans sa chambre lugubre, le jeune homme avait relâché un dernier râle avant de s'effondrer, raide mort. Ses yeux avaient papillonné très lentement, ses lèvres s'étaient étirés en un semi-sourire, rougeoyant de sang et empreint d'une note de joie. Catalina n'avait pas lâché sa main, glacée, et l'avait même serrée encore plus fort après cet instant douloureux. Elle se rappelait de ces quelques mots, prononcés avec la plus grande peine, qu'il avait émit avant de mourir.
Mo Ardaigh.
Ses yeux cillèrent plusieurs fois, comme si elle ressortait d'un rêve. Elle se releva, légèrement vacillante, avant de s'approcher de son bureau pour s'y installer, fébrile. La jeune lady, témoignant d'une mélancolie sans non, se mise à écrire dans son petit carnet de cuir, d'une calligraphie appliquée, quelques lignes improvisées et secrètes.
VOUS LISEZ
À l'Aube de nos Noces
Romance1823. Comté de Donegall, Angleterre. À dix-neuf ans, Catalina, une demoiselle discrète et introvertie, est la dernière fille du lord George de Donegall. D'apparence douce, elle n'avait jamais suscité le doute sur sa bienséance, bien obligée de faire...