Prologue

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  Ils étaient là. Paisiblement allongés sur un parterre fleuri recouvert d'une longue nappe ivoire, là où le soleil brillait chaleureusement. L'air était pur, agrémenté d'effluves boisées très odorantes ayant déjà parfumées la zone du grand Garden. Le gigantesque hêtre derrière eux tamisait les fins rayons lumineux et chatoyants sur leurs visages poupons, épanchés d'un naturel enfantin si exquis.

   Ils n'étaient encore que des enfants; innocents et naïfs, dotés d'un lien fraternel très complémentaire. Ce genre de complicité que seul un frère et une sœur pouvaient avoir et qui les avait unis secrètement. De plus, ils se complémentaient d'une ressemblance physique frappante. Celle-ci allant de leur teint clair à la couleur chocolatée de leurs cheveux, passant par leurs yeux noisette ainsi qu'aux légères tâches de rousseurs sur les pommettes. Même dans leurs expressions faciales étaient distinguables quelques brides de l'autre ainsi que dans leurs mouvements.

   L'atmosphère était douce, transcendant presque le réalisme. Leurs éclats de rire résonnaient puissamment, éclipsant chacun des bruissements forestiers provenant des environs. Rien n'aurait pu déranger le calme ambiant ainsi que l'ambiance détendue et euphorique qui planait.

– Et ça, et ça ! Qu'est ce que c'est ? s'exclama curieusement la fillette en désignant une allée de jonquilles au loin.

   Son frère ricana gentiment en admirant sa sœur d'une œillade bienveillante.

– Daisíní.

– Daisíní ?

– Oui, daisíní. Cela veut dire "des jonquilles" en irlandais.

   Elle sourcilla, perplexe et interloquée par la forme du mot.

– Et au fond, des tiúilipí, rajouta-t-il en pointant une autre zone fleurie.

   La jeune enfant paraissait ravie d'apprendre autant de mots, bercée par la voix indulgente de son frère. C'était habituel pour eux de se retrouver dans ce genre de moments plaisants où ils pouvaient bavasser tranquillement. Ils se racontaient souvent leurs secrets, leurs journées et même les potins qui tournaient aux environs de la demeure.

  Mais durant cette journée, le plus grand avait préféré lui enseigner, de ses leçons, quelques mots irlandais qu'il avait appris lors de son voyage en Irlande chez sa Tante Dimgrith. Et elle adorait lorsqu'il lui transmettait son savoir, le plaisir étant toujours réciproque.

– Tulipes!

– Oui, exactement ! Tu es très forte !

   La petite se mit à rougir, satisfaite de cette petite remarque pertinente.

– D'ailleurs, j'aimerais t'offrir un cadeau que j'ai rapporté d'Irlande, annonça-t-il d'un ton caressant.

– Je veux, je veux !

   Enthousiaste, elle regarda son frère farfouiller à l'aveuglette dans la poche de son gilet de laine. Après quelques secondes interminables, l'impatience de la jeune fille s'évapora en découvrant sous ses yeux émerveillés, une jolie rose légèrement fanée aux quelques pétales manquants.

– Ardaigh. C'est une ardaigh et elle est à présent à toi.

   Ses yeux pétillèrent dans un semblant d'admiration silencieuse. Elle s'appropria la fleur avec une délicatesse sans nom, la manipulant précautionneusement entre ses doigts potelés. Quant à lui, il fut comblé de voir sa sœur aussi enchantée.

– Je la trouve très jolie, et j'en prendrai grandement soin, promit-elle en esquissant un sourire radieux.

   Il rayonna. Conquis par son attitude délicate et prévenante. C'était vrai qu'il ne s'agissait que d'une rose, mais il n'en fallait jamais plus pour emballer le coeur sensible de la jeune enfant. Et avant même qu'il ne puisse renchérir, elle se rua sur lui telle une furie, faisant valser ses longs jupons. Ils se câlinèrent tendrement, d'une étreinte familiale intense. C'était leur façon à eux de se dire merci.

– Je t'aime tout fort, mon Erlann.

– Moi aussi je t'aime, mo Ardaigh.

   Au loin, tapi sous des nuages envahissants, le ciel déclinait sous une forme grisâtre et menaçante. Il fut suivi de grondements tonitruants annonçant l'orage.

   La petite fille se redressa, soudainement apeurée par le changement d'atmosphère. Une légère bourrasque lui octroya un frisson dans le dos, augmentant sa frayeur. Elle se retourna, faisant face à son frère encore allongé. Mais alors qu'il paraissait détendu, le visage d'Erlann se décomposa en une fraction de seconde, passant de la joie à la lividité. Son regard se détacha fébrilement dans le vide. Il était pâle et curieusement inanimé, son corps venant de subitement lâcher prise. Elle avait inopinément cessé ses rires, le détaillant avec une mine frustrée. Ses mains le secouèrent vainement mais elle persistait toujours; inlassablement. Sa déception grandissante, elle se renfrogna capricieusement en geignant, ses yeux s'embuant de larmes à leur tour. Elle ne comprenait pas.

  Mais alors qu'elle gémissait, l'aspect lumineux et coloré de l'environnement fut instantanément secoué d'une vague de poussières noirâtres, s'imprégnant du paysage naturel. L'agglomération de noir s'étendit jusqu'à eux, cernant leur corps de tourbillons lugubres et destructeurs. Et alors que tout leur monde s'effaçait dans un néant mystérieux, elle criait à s'en déchirer les cordes vocales, le nom mémorable de son frère qui se désagrégeait. Et sa voix résonna avec une sonorité floue dans les abîmes du passé qui les ensevelirent tous deux.

ERLANN!

   Une goutte d'eau dévala son front soudainement, l'extirpant de ses pensées. Elle battit longuement des paupières puis observa les alentours en reprenant conscience de la situation. Le temps s'était dégradé depuis un moment ayant tourné à l'orageux. La pluie s'était mise à ruisseler considérablement. Mais protégée par son parapluie olive, Catalina resta stoïque, insensible à la lourdeur de l'atmosphère. Elle semblait concentrée, méditante, n'ayant d'autres préoccupations que la surface rocailleuse devant elle, ancrée dans le sol.

   Après une multitude de soupirs mélancoliques, elle refoula ses larmes, prête à affronter la vie de plus belle. La jeune femme se baissa devant la tombe,  laissant ses bottines noires - assorties à sa tenue actuelle - s'enfoncer dans la terre boueuse, pour y déposer un fin bouquet composé, parmi tant d'autres. Son regard remonta sur la calligraphie gravée dans la pierre tombale.

Erlann de Donegall. 1804-1820.

   Déjà trois ans, se disait-elle silencieusement. Son coeur rata un battement et sa vue se brouilla de larmes involontaires comme à chaque fois qu'elle parvenait à lire les inscriptions taillées en lettres d'or en face d'elle. Ne voulant s'affliger trop de regret, elle décida de repartir, après un dernier signe de croix, d'entre un long chemin caillouteux.

Au revoir, mon frère.

À l'Aube de nos NocesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant