Cachée derrière de larges broussailles environnantes, l'unique demeure des de Donegall paraissait toujours aussi radieuse, malgré les années passées. C'était une de ces résidences luxueusement parées, d'un ancien style élisabéthain fort populaire en des temps plus nobles, au charme britannique incommensurable et à l'aspect esthétique très soigné. La façade était marquée d'une argile ivoire très prononcée, de moulures détaillées –dans le même matériau–, finement ajustées en bordures de fenêtre ainsi qu'un magnifique auvent protégeant l'immense porte de chêne forgée complétant la stature royale de la bâtisse. Aussi possédait-elle un nombre incalculable de fenêtres en saillies, positionnées seulement au rez-de-chaussée.
L'édifice était d'une grandeur absolue, comptant pas moins d'une trentaine de pièces en son intérieur. Des tapisseries colorées ornaient les murs de chaque salle ainsi fixées par de magnifiques corniches. L'ensemble des meubles étaient en bois massif, n'égayant pourtant pas la douceur des nuances présentes. Dans une majorité des pièces trônaient de larges cheminées ainsi qu'une variété impressionnante de bibelots d'une richesse indéniable.
Mais ce fut surtout l'harmonie des quelques notes de piano passant aux travers des murs qui assuraient la sérénité en ce lieu. Elles se décuplaient en une valse de sonorités mélodieuses provenant directement d'une des plus belles salles de la demeure : le petit salon.
Là, Catalina, sagement assise sur le rebord d'une fenêtre en saillie, se détendait devant la pluie dehors qui frappait les vitres dans une danse hypnotique très rythmée qu'elle admirait silencieusement. Elle n'aimait pas particulièrement ce temps, certes, mais le bruissement des gouttes l'apaisait plus que n'importe quel son. Il lui permettait d'oublier ses tracas quotidiens, l'enfermant dans sa bulle où elle aimait divaguer.
À ses côtés, sa sœur Daphney, de trois années son aînée, jouait avec une dextérité envoûtante quelques arpèges. Ses doigts laissaient libre court à leur savoir pour traînasser au gré des touches, errant à l'affût d'une souplesse entre les notes avec une concentration phénoménale. C'était là toute la caractérisation de cette jeune femme, qui se devait d'atteindre la perfection dans tous les domaines proposés à une demoiselle de bonne société.
Une mauvaise note résonna.
Catalina fronça les sourcils, perturbée d'avoir été ressortie brusquement de ses pensées. Elle qui n'aimait pas être dérangée, la voilà contrainte ! Elle observa sa sœur, d'une œillade crispée, qui murmurait des jurons étant malheureusement piquée au vif.
Toute cette vulgarité pour une fausse note..
La jeune femme soupira lasse, incertaine de prendre la peine de lui faire ravaler ses paroles mal placées. Il fallait bien admettre que le côté perfectionniste et impétueux mélangés de sa sœur, ne se complétaient pas vraiment.
Daphney allait recommencer sa mélodie lorsque leur mère, Eleanor de Donegall, fit irruption dans la pièce. La génitrice était ridée sans pour autant paraître vieille, et dégageait une aura austère et aigrie. Ses cheveux étaient arrangés en un chignon tiré à quatre épingles, complété d'une multitude de mèches grisâtres. Elle était vêtue d'une robe cintrée et fermée, ajustée jusqu'au cou telle une camisole. Sa couleur terne et sa matière de velours rendait la toilette aussi morose que son regard empli de mépris et d'arrogance.
– Daphney ! Je viens de recevoir une lettre pour toi. Elle vient de ton père, s'exclama-t-elle en esquissant une expression satisfaite.
Elle ne s'était même pas aperçue de la présence de Catalina qui ne préféra piper mot face a son insignifiance aux yeux de sa mère.
– Une lettre ? C'est à quel sujet, mère ?
– Lis donc, tu le sauras bien assez tôt.
Daphney extirpa la feuille de son enveloppe déjà ouverte avant d'entamer sa lecture d'une voix blanche :
« Ma chère fille Daphney, il m'est fort agréable de t'annoncer tes fiançailles avec le fils du lord de Wellington, Darnley. Il était dans tes convictions de pouvoir te marier avec l'homme de ton choix, mais tu ne pourrais refuser une union permettant d'importants bénéfices. Maintenant, pour ce qui est du mariage, je reviendrai d'ici moins d'une semaine en compagnie des Wellington, avec qui nous nous occuperons des préparatifs. Je sais que la nouvelle ne te sied guère, mais tu connaîtras les détails en temps et en heure.
Bien à toi,
G. De Donegall. »Il y eut une minute de silence interminable durant laquelle Daphney resta coite sous l'effet produit par la lettre. Il n'était pas dans ses habitudes de rester inexpressive. Mais alors que sa mère allait intervenir, la jeune femme replia soudainement le parchemin pour le reposer dans son pli, une expression hautaine figurant sur ses traits princiers. Elle soupira bruyamment, démontrant de sa lassitude avant d'ajouter :
– Bien, si c'est la volonté de père... Maintenant, j'aimerais pouvoir me retirer. Je tiens tout de même à être présentable et à ce que mon teint et mes cheveux soient parfaits ! Je pense qu'il faudrait aussi que je revoie ma garde-robe...
Catalina resta quelques minutes abasourdie, étrangement atteinte de voir que sa sœur n'avait que faire des priorités, préférant s'en tenir à sa beauté. Il allait de soi qu'elle prenne grand soin de son image, chose normale chez une demoiselle de son rang, mais même lorsqu'elle ne se pomponnait pas, elle restait aussi resplendissante qu'à l'habituel.
Mais alors qu'elle observait la lettre posée sur le piano, ses pensées se dirigèrent vers celle-ci, intriguées. Pourquoi son père voulait-il absolument marier Daphney ? Il lui semblait qu'il n'avait aucun problème financier. Le comté était plutôt riche et regorgeait de marchands prêts à faire affaire avec le lord de Donegall. Et puis qui était donc cette famille de Wellington ? Qu'auraient-ils pu apporter de plus à leur famille, si ce n'est une alliance entre leurs deux richesses. Malheureusement, tant de questions restaient sans réponses et il valait mieux attendre leur arrivée avant d'essayer d'en savoir plus.
Pour l'instant, l'attention était rivée sur Daphney qui - comme à son habitude - exigeait beaucoup à sa camériste, Edna. La pauvre servante subissait tous les caprices de sa maîtresse depuis bien des années, mais ne s'était jamais plainte du comportement excentrique de la demoiselle. À ce moment, Lady Eleanor souriait avec suffisance devant la facilité d'adhésion de sa fille. Elle l'avait toujours élevée pour que Daphné accepte sa situation d'aînée qui la contraignait au mariage d'intérêt. Elle avait attendu ce jour toute sa vie et la voilà à présent fiancée, comme exigé. Tout était pour ravir la lady.
Catalina se redressa vivement. Elle essaya en vain de scinder l'atmosphère en s'éclipsant ostensiblement mais l'attention restait définitivement sur sa sœur. Mais ça, elle en avait été habituée.
VOUS LISEZ
À l'Aube de nos Noces
Romance1823. Comté de Donegall, Angleterre. À dix-neuf ans, Catalina, une demoiselle discrète et introvertie, est la dernière fille du lord George de Donegall. D'apparence douce, elle n'avait jamais suscité le doute sur sa bienséance, bien obligée de faire...