Lonely Island

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J'ai pas vraiment envie de vous parler de ma vie. Si je le fais, c'est plus pour me dégoûter moi même, confesser mes pêchés pour me rendre compte que je dois arrêter. Quand on est jeunes, ils n'en parlent pas. Ils l'ignorent carrément, ils nous préparent pas à ça. C'est triste, parce que je suis pas mal sûr qu'entre vous et moi, y'en a pas de différence. Vous avez juste jamais été mis en contact avec. Pis moi, bien je l'ai trouvé. Ma dose quotidienne de bien être à moi.

La première fois que j'y ai touché, je comprenais pas trop l'utilité. C'était surtout des désespérées pour la plupart, des nobody. Puis vient le moment critique, celui où t'ouvre bien gros la bouche, prêt à mordre dans l'hameçon, quand tu rencontres La personne. Celle avec qui tu sens le déclic. La perle dans l'océan de coquilles vides. Et là tu bénis ce site d'exister. Alléluia grâce à ça je me sens enfin sorti de la solitude. Les beaux jours, les belles promesses, le tableau au grand complet est parfait.

Et puis, tu te dis un beau jour que si tu l'as trouvé, tu peux en trouver pleins d'autre comme ça. Il suffit de taper quelques lettres sur un moteur de recherche. Tu trouves des gens plus beaux, plus sociales, plus impressionnants. Tous seuls, ils sont rien comparés à la perle, mais en coup de dix par soirée, ils l'aspirent, l'éliminent, l'effacent. Tu fais rien, tu fais juste trouver mieux sans arrêt. Des mieux que t'aimes juste au début, des mieux qui deviennent des anecdotes, des façons d'impressionner encore et toujours.

Et puis, la perle part. Elle te laisse seul avec ta collection de gens. Ta collection de souvenirs. Tu carbures au vide. T'oublie presque aussi vite les gens que le temps que ça leur prend pour t'envoyer un message. Aimer? C'est pas pour toi. Non, toi tu préfères consommer. Regarder, acheter, remplacer. Tu ne veux plus nécessairement le plus beau, mais le plus intense. Celui qui prendra tes trips et qui te fera vive des émotions toujours plus grosses. Tu veux te sentir vivant, désiré, mais surtout puissant. Ils doivent constamment te prouver qu'ils sont assez bons pour toi. T'en as vu des bien plus beaux. Il suffit juste d'un clic et ils finissent à la corbeille. T'es toujours en manque. Comme un toxicomane qui en cherche toujours plus. Hors de question de mentionner l'engagement. Ça finit toujours par faire mal. Tu finis toujours par faire mal.

Le pire, c'est dès que quelqu'un décide de se débarrasser de toi avant que tu en décides ainsi. Là, ta haine remonte. T'as besoin de faire comprendre aux gens que si quelqu'un doit décider, c'est bien toi. Alors t'avale la dernière gorgée de ton café, tu te regardes dans le miroir et tu réalises qu'au final, dans tous ces gens que tu as perdu, la personne qui te manque le plus c'est toi. Tu es terne et affamé. En créant un nouveau toi, tu as tué le vrai. Toute mes félicitations tu es officiellement un de ces nobody que tu jugeais. Tu es maintenant un naufragé pris sur Lonely Island. Cette envie de posséder les gens t'a aspiré, possédé et transformé en esclave. Les yeux rivés sur ton écran tu cherches à trouver un sens à ton existence que tu as toi même détruite. Bienvenue dans cette ombre numérique.

24 textesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant