Le temple du palais royal est un joyau solitaire et énigmatique au milieu des jardins luxuriants.
Encadrée par mon escorte imposée, composée de Daegan et de quatre gardes Falunes qui pourraient tout aussi bien faire partie d'un cortège funéraire, je remonte une allée pavée de galets blancs et bordée de lauriers roses. Le chant vibratoire des grillons cachés dans les fourrés rythme mes pas traînants.
J'ai toujours aimé l'atmosphère particulière de la nuit, sa douceur, son calme, ses mystères.
Cette nuit, à cause des brumes d'angoisse qui hantent mon état d'esprit, me procure une impression radicalement différente.
Le croissant de lune argenté qui domine le ciel ressemble au sourire malveillant d'un dieu ténébreux.
Les mesquines étoiles semblent prêtes à se décrocher de la voûte et à s'écraser sur ma tête comme une pluie de pierres meurtrières.
Les ombres frémissantes tapies autour de moi me paraissent menaçantes, telles des créatures assoiffées de sang qui me guettent.
Entre les silhouettes oblongues des palmiers, des colonnes, des galeries et des sculptures éclairées par des flammes vacillantes se profilent. Pour la première fois dans toute l'histoire de Symbiose, le temple sacré du Dieu du Feu à Astranis va accueillir le mariage d'un roi Falune et d'une reine Gelane.
Cela aurait pu être un merveilleux symbole d'union entre deux Clans dans un autre contexte. En réalité, ce n'est rien de plus qu'une formalité administrative qui signe le début de mon testament.
Je m'engouffre dans le sanctuaire constellé de cierges, où les spectateurs, le prêtre et mon fiancé sont déjà présents.
Fait surprenant, les témoins ne sont pas nombreux. Assis sur des divans, les Hauts-Falunes, au nombre de huit, sont tous au moins trois fois plus âgés que Sylvan. Ils me jettent un coup d'œil indifférent avant de reprendre leurs bavardages comme si j'étais un élément du décor. Nadya Ler-Voline, qui se tient près de Leonal Ren-Falune, la poitrine bombée et le menton relevé, me gratifie d'un regard plus insistant. Un sourire venimeux se dessine sur ses lèvres rouge cerise : elle se délecte ostensiblement de mon malheur. Je la foudroie du regard, mais elle ne détourne pas les yeux, bien au contraire : son sourire s'agrandit. Je l'amuse.
Je crois que je n'ai jamais autant haï une femme qu'en cet instant.
Devant l'autel en pierre gravé de runes dorées à la feuille, Sylvan discute à voix basse avec le prêtre du Dieu du Feu, un jeune homme vêtu d'une toge rouge et d'un turban de la même teinte.
Une main dans le dos, mon royal fiancé ne daigne pas interrompre sa conversation à mon arrivée ; cependant, son regard inflexible me vrille en parcourant chaque centimètre carré de ma personne. Lorsqu'il hoche presque imperceptiblement la tête, j'ignore si ce geste est un signe d'approbation par rapport à ma robe ou s'il acquiesce à ce que le prêtre est en train de lui murmurer. Il est toujours flanqué de son armure de guerrier et une cape en velours pourpre de la même couleur que ma robe frôle l'ourlet de ses bottes, mais l'objet qui repose sur sa tête n'est pas son heaume de dragon.
Sa couronne est en fait un épais cercle d'or dans lequel est enchâssé un rubis central scintillant entouré de deux ambres... dans lesquelles sont emprisonnées de minuscules scorpions. L'attribut royal est en adéquation avec l'homme qui le porte, je dois dire.
Une fois de plus, l'auguste beauté de son visage souligné par la lumière tamisée des cierges me frappe. Comment un être si séduisant peut-il receler une telle noirceur d'âme ?
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La Reine Courtisane (publié chez Black Ink éditions)
FantasyAprès des siècles de paix, les quatre Éléments-Clans de l'île Symbiose se livrent une guerre sans merci. Sylvan, le jeune roi Falune, guerrier cruel et impitoyable capable de contrôler la magie de Feu, asservit les trois autres royaumes de Symbiose...