XXXIX (au-dessus des nuages)

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(média: un compositeur que j'ai découvert, ses morceaux de piano sont absolument magnifiques)

Ces escaliers sont interminables. Elle monte, monte, monte encore. Elle aurait pu prendre l'ascenseur, mais elle n'avait pas envie. Elle préfère monter les marches deux à deux, s'essouffler,  encore, encore.  Elle entend la pluie taper contre les vitres dans les couloirs. Plus vite, plus vite, Elle ne t'attendra pas éternellement. L'adolescente continue son ascension haletante, désireuse de La retrouver. Enfin. La petite porte de service cabossée, taguée. 

Il fait froid, sur le toit de l'immeuble. Mais elle s'en fout. Il pleut. Elle se dit que ce sont les larmes qu'elle refusait de faire couler jusqu'à présent. Les gouttes du ciel se mêlent à celles de ses yeux bleus. Elle voudrait sauter. Mais elle pourrait aussi simplement se laisser tomber, glisser du toit mouillé. Si elle sautait, c'était pour tenter de toucher les nuages du bout des doigts. Prendre de la hauteur. Si elle tombait, c'était pour mourir. Elle s'avance au bord du toit, La cherche des yeux.  Elle ne voit pas son amie vêtue de noir, la Mort... Elle ne voit plus rien. Elle ne sait plus ce qu'elle veut, pourquoi elle a monté toutes ces marches. Mourir? Et si elle se ratait? La petite fille désormais femme s'assoit sur le rebord du toit, ses jambes maigres pendant dans le vide.

 Tout en elle est maigre. Elle le sait. Elle a beau détester ça, elle n'a pas d'autre choix. Tout en elle est femme. Elle le sait. Elle n'a pas réussi à aligner son corps et son âme, et maintenant, son âme d'enfant est prisonnière dans son corps de toute jeune femme. Le silence se fait peu à peu dans sa tête alors qu'elle regarde les gouttes de pluie s'échouer sur les voitures, la route, ses pieds. Son choix est fait, elle pense. Elle regarde le ciel, la pluie tombe dans ses yeux. Tout est nuageux. 

On dit qu'il fait toujours beau, au-dessus des nuages. Elle aimerait voir si c'est vrai. Elle aimerait voir si le soleil brille pendant qu'ici bas les nuages pleurent.

Soupir... quand elle sera en bas, plus rien n'aura d'importance. Pas même les cris de détresse de sa mère quand quelqu'un lui apportera son corps sans vie, trempé de pluie et de larmes. Pas les pleurs de ses prétendues amies à son enterrement. La seule chose qui lui importait désormais, c'était de savoir si elle allait sauter ou tomber. Tomber semblait être à la hauteur de ce qu'elle était. Une petite chose, un corps frêle, emporté par le vent. Elle savait qu'elle allait s'éclater contre le bitume, répandre son sang devant des inconnus, des hommes, femmes, enfants. Tous verraient la désillusion qu'elle vit chaque matin en ouvrant les yeux. Elle ne sera plus que bonheur quand elle sentira son corps tomber du dixième étage de l'immeuble. Quand son cœur cessera de battre. Tomber. Voilà l'objectif final.

 Elle s'avance sur le bord du toit.

Encore.

Va-t-elle tomber, maintenant? Allait-elle regretter?

Le vide fut la réponse à ses questions. Quand son corps toucha le sol, son âme alla rejoindre le soleil. Il fait toujours beau, au-dessus des nuages.

my mind is a messOù les histoires vivent. Découvrez maintenant