LIV ( Laura )

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La lune brillait haut dans le ciel, se reflétant sur les pavés du 9è arrondissement de Paris

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La lune brillait haut dans le ciel, se reflétant sur les pavés du 9è arrondissement de Paris. La douce fraîcheur de cette nuit de juillet n'attirait en aucun cas l'attention de Laura. Elle était concentrée, réajustant son collier serre-cou noir presque nerveusement. Elle souriait machinalement, comme toujours. C'est la première chose qu'on remarquait en l'approchant: son sourire. C'est ce qui attirait ses Arthurs, et elle en était consciente. Alors, pour les inviter à la consommer, elle souriait, dévoilant ses dents blanches et la courbe de ses lèvres pulpeuses. Sur son bout de trottoir, elle attendait les hommes seuls patiemment, malgré les regards insistants des femmes mariées qui passaient par là, et sa jambe qui la faisait souffrir.

La rue de Notre-Dame-de-Lorette était remplie de bourgeois, de restaurateurs et de femmes du demi-monde. Ces lorettes qui se postaient devant les maisons closes et qui, comme Laura, attendaient leurs amants de l'instant d'un air aguicheur. Elle s'était construit une belle réputation dans ce milieu, Laura. Son nom circulait sur toutes les lèvres adultères, tout homme ayant un pied dans le demi-monde à Paris connaissait Laura la lorette.

La jeune femme attendait donc seule sous ce porche qu'une âme sensible à ses atouts veuille bien se montrer. La nuit avançait, et la jolie femme craignait de ne pas faire assez de chiffre pour payer ses frais d'entretien. Elle ne montra pas son inquiétude malgré tout, et garda son sourire collé sur son visage, un sourire qui la blessait comme une plaie ouverte. Ce si joli sourire n'était qu'artifices et entraînement, au prix de longues journées passées à pleurer sa confiance en elle, pleurer la perversion des hommes, pleurer ce temps passé sur son petit morceau de trottoir comme un ours blanc attendrait sur son iceberg que les glaces fondent totalement. Laura était triste de devoir travailler ainsi. Quand elle était enfant, elle aspirait à une belle vie, un mari riche et gentil, des enfants qu'elle élèverait avec amour dans une grande maison. Seulement, sa condition familiale l'avait menée rue Notre-Dame-de-Lorette, un soir pluvieux où elle avait décidé d'alléger ses parents d'une enfant en âge de se marier, mais qui pourtant n'avait jamais dépassé le seuil de sa maison. Ils n'arrivaient pas à subvenir aux besoin de toute la petite famille, le répétaient sans cesse, alors elle avait fini par partir, tout simplement. L'homme dirigeant à la baguette toutes les filles de joie de ce quartier l'avait donc repérée ce soir-là, triste et perdue sous les trombes d'eau que pleurait ciel parisien. Elle n'avait fait qu'accepter le travail proposé, en désespoir de cause, en espoir d'une vie meilleure.

Un de ces hommes que le vent menait toujours à bon port approcha la jolie lorette d'un pas assuré, posant sur elle un regard lourd de sens. Elle sourit de plus belle et l'invita à la suivre à l'intérieur d'un geste gracieux. Une de ses collègues et amies lui expliqua brièvement les choses importantes ainsi que les prix des différentes prestations, puis s'éclipsa. Cette maison était le lieu de vie et de travail des lorettes. Elles vivaient ensemble chaque jour de la semaine, et le week-end, elles partaient parfois en sortie avec leur amis et (pour celles qui en avaient) leur famille. Les liens entre les femmes de plaisir se tissaient, solides comme le roc. Elles avaient chacune une histoire, une vie, une âme à raconter lors de leurs temps libres. Si parfois des tensions apparaissaient, elles étaient chassées par la femme la plus expérimentée de la maison, qui s'occupait des filles presque maternellement.

Dans la chambre de service, l'homme passa du bon temps avec Laura, qui souriait toujours mais n'en pensait pas moins. Elle tentait d'oublier la tristesse que lui procurait ces instants de luxure, et se focalisait sur son travail et les bénéfices qu'elle en tirerait à la fin. Elle avait beau ne pas apprécier son travail, il était évident qu'elle était douée. Elle était douce, voluptueuse, d'une grâce sans précédent. Chacune des filles étaient perplexe lorsqu'elle leur racontait qu'elle n'avait pas trouvé de mari.

La jeune lorette, une fois sa nuit terminée, prenait soin de nettoyer chaque parcelle de son corps. Elle voulait enlever les traces que la nuit lui avait laissé, la nuit moite et sans sentiments, dure comme la roche. Puis elle pouvait enfin se glisser sous ses draps pendant quelques heures, se laissant aller dans les bras de Morphée. Elle ne priait jamais, et pourtant elle n'avait aucune notion d'athéisme. Le monde n'était pas encore prêt pour cela. Plus tard, elle se lèverait, se préparerait avec celles qui sont devenues ses amies en attendant le soir. Et le soir... Le soir, la lune brillera haut dans le ciel, se reflétant dans le sourire de Laura, sur son petit bout de trottoir, attendant que les hommes seuls se laissent aller aux déboires de l'humanité, une nuit de plus.

my mind is a messOù les histoires vivent. Découvrez maintenant