Cécilia
Maman. J'avais besoin de la voir au plus vite. J'avais envie de la prendre dans mes bras et de ne plus la lâcher. Marchant lentement, je passai devant le comptoir du bar. Une main prit mon poignet et me fit stopper net.
— Je peux savoir où tu vas ?
Cette voix rauque ne pouvait appartenir qu'à mon père. Et je l'avais assez entendue pour la reconnaître entre mille.
— Où est Maman ? je tentai sans répondre à sa question.
Il soupira longuement.
— Dans la salle de théâtre. Tu peux aller la voir mais tu retournes travailler au plus vite, c'est bien clair ?
— Oui, père.
La salle de théâtre. Cette vieille pièce mal entretenue était connectée à l'arrière du bar par une simple porte à double battant.
Arrivée dans la salle, je me mis à appeler ma mère. Sa réponse me guidait alors jusqu'à elle. Je descendis quelques marches et me glissai entre les rangées de sièges. Ma maman, Evelyne, m'aida à m'asseoir à côté d'elle.
Elle se reposait souvent ici, enfermée dans une bulle de solitude. Hermétique, impénétrable. Elle ne faisait rien. Jamais. Et moi seule pouvait l'en extirper.
— Quelque chose ne va pas ma chérie ?
Sa voix avait résonné à travers la grande salle en un écho puissant. Je tentai de parler, mais rien ne sortit. La bouche ouverte, je ne parvins pas à expulser les mots qui me pesaient. Alors j'empoignai son haut et laissai les larmes couler, ma tête sur sa poitrine.
Tant de choses n'allaient pas. Tant de choses m'écrasaient depuis trop longtemps et menaçaient de me faire tomber pour de bon. Pourquoi est-ce que je n'arrivais pas à parler ? Ce n'était pourtant pas bien compliqué ! J'avais été privée de ma vue, pas de ma langue ! Serrant les dents, je sentais un bouillonnement monter en moi. La rage de devoir tout contenir. La rage de ne pas réussir à m'exprimer. J'étais faible. J'étais méprisable, je n'avais jamais réussi à faire entendre mon avis sur quoi que ce soit, je...
— Soit forte, Cécilia, me coupa ma mère dans mes pensées. Fais-moi honneur. Je sais ce que tu as enduré depuis tout ce temps. Ton père a de mauvaises habitudes. Je me suis adaptée à cela et sache que je fais mon maximum pour te protéger. Tu ne mérites pas ce qui t'arrive, mais je ne peux pas faire mieux. Tu sais, je vois ton quotidien. Je t'observe, je sais ce qu'ils te font. Mais ça, je ne peux rien y faire.
Je hochai la tête en guise d'approbation. Elle avait raison. C'était à moi de me gérer. J'étais majeure, et il était temps que je me défende.
Mais un point m'apparaissait toujours obscur. Je réussi à bégayer ces quelques mots :
— Pourquoi les hommes réagissent-ils comme ça en me voyant ?
Elle inspira longuement, comme si elle hésitait à m'avouer quelque chose.
— Tu veux dire, pourquoi tu les attires tant ? Parce que tu es une femme. C'est malheureux à dire, mais tu es née comme ça et pour certains hommes, tu n'es qu'un objet. Ton corps les attire, pas ton esprit. Ce que tu es leur importe peu. Tout ce qu'ils veulent, c'est assouvir leurs besoins, leurs pulsions. C'est naturel chez eux.
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Aveugle
Fiction générale- Réflexion personnelle - : "Ecrire un roman du point de VUE d'une aveugle ? Pourquoi pas..." Cécilia est née aveugle et cela ne l'a jamais dérangée. Jusqu'au jour où son corps change. Ayant l'incapacité de voir sa propre enveloppe charnelle, elle n...