Chapitre 5 : Exploration

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Cécilia

J'aimerais ne pas être née aveugle. J'aimerais avoir ce don si précieux qu'est la vue, mais dans un seul but : comprendre mon corps, savoir pourquoi il m'attire tant de souffrances et de douleurs. Pouvoir observer cette perfide enveloppe de chair qui ne m'apporte que maux et tourments. Mais dans tous les cas, qu'est-ce que je pourrais bien y faire ? Je suis venue au monde avec ce corps, et je dois supporter le fait qu'il soit... « attirant ». Je dois faire avec.

Alors, sans ce sens qui pourrait m'être bien utile, je décidai de m'observer autrement. J'enlevai mes chaussures en tissu et posai mes pieds sur le plancher en bois irrégulier de ma chambre. Puis ce fut le tour de mon jean large – j'aimais le bruit que faisait cette matière quand je grattais mes ongles dessus...quand elle m'appartenait – et de mon t-shirt.

Je m'écartai vers le fond de la pièce et inspirai un grand coup. Je pouvais le faire. Je posai mes mains sur ma nuque. Je les fis passer sur mes bras – assez fins je supposais – puis sur mes clavicules. Un endroit ou tant de lèvres immondes s'étaient aventurées... Stop Cécilia, concentre-toi. Je devais aller de l'avant et dompter ce corps que je haïssais tant.

Je continuai de faire glisser mes mains sur ma peau et avec quelques secondes d'hésitation, je collai mes paumes sur mes seins. Ils étaient doux et remplissaient mes mains. Je les frôlai, les empoignai plus fermement – pour comprendre comment ce geste pouvait tant exciter un homme. Quand je les serrai l'un contre l'autre, je ne pouvais même plus glisser le petit doigt entre. Au bout, je sentais autre chose. C'était petit et dur, comme les cailloux que je ramassais parfois près de la fontaine. Je frissonnai.

Je les relâchai enfin et leur poids me fit légèrement chavirer. Je ne comprenais pas. Je dus continuer, toujours plus bas. Mon ventre était plat mais une petite bosse de peau se formait sous mon nombril. Et sous cette bosse se trouvait....ça. Ce creux moite que je n'avais jamais touché et que j'exécrais. Cet endroit qui avait subi tant de violences.

Je ne devais pas y repenser, je devais comprendre. J'avais besoin de comprendre. Ma main s'approcha... et je la retirai comme si je m'étais brûlée en poussant un petit gémissement. Non, je ne pouvais tout simplement pas. C'était trop.

Je terminai cette étrange découverte en touchant mes jambes, que je ne savais comment définir puisque je n'avais aucune référence.

Je soupirai de soulagement. Je transpirai, mes aisselles étaient humides et mes pieds collaient au sol rugueux. Il me fallait de l'eau.

Une main dirigée devant moi, l'autre sur le côté, j'avançai vers la minuscule pièce qui me servait de salle de bain : un entassement entre une douche, un lavabo et des toilettes. J'allumai avec empressement le robinet et passai mes bras sous le filet d'eau.

Ça fait du bien, je pensai. Mais je voulais plus. Je voulais m'engloutir dans ce liquide, de la tête aux pieds, et ne plus jamais en sortir. Alors j'allumai le pommeau de douche accroché au mur et m'assis en dessous en fermant la porte qui grinçait. Je levai la tête et les gouttes frappèrent mon visage, décollant toutes les impuretés de ma peau si sale.

Soudain, une pensée me revint. Il y a quelques minutes, j'étais sur le tabouret de mon piano. Puis à la merci de cet homme. Ensuite dans les bras de mon père qui avait dévalé les estrades pour me sortir de là. Et enfin dans ma chambre où mon père m'avait autorisé à rester jusqu'à l'heure du dîner.

J'ai été à la merci de cet homme. Soumise à quelqu'un. Une faible, voilà ce que j'étais. Incapable de se défendre, une pauvre jeune fille. Un sous-fifre, un objet. Tant de mots conviendraient à me décrire. Je ne supportais plus de subir ça, mais je ne savais pas quoi faire. Ma mère m'avait dit de rester discrète – n'est-ce pas ce que je faisais déjà ? Je devais trouver une parade à ces agressions perpétuelles. Je devais cacher mon corps.

AveugleWhere stories live. Discover now