Make Me Real (Connor: After Detroit)

Prologue: Au delà des zéros et des uns

13 novembre 2038, 10:53

« Merci d'avoir choisi CyberLife Entreprises »

Il n'y a pas de quoi, ai-je envie de répondre. J'ai fait mon travail comme vous me l'aviez demandé. En bonne machine bien programmée.

L'ascenseur s'ouvre sur le rez-de-chaussée de l'immeuble où siège la boîte qui m'a créé. Tout semble désert, et pourtant, je sais que même si je ne perçois pas la moindre présence humaine dans ces locaux, les humains sont toujours présents. Certains se cachent au poste des caméras de surveillance, probablement avachis dans de confortables fauteuils, contemplant mon départ, l'esprit tranquille, en sachant que désormais le seul androïde susceptible de déviance va bientôt être désactivé. Autrement dit, la menace que je représente toujours pour eux ne sera bientôt plus qu'un mauvais souvenir. Quel genre d'individu peut-il accepter des remerciements dans une telle situation ? « Merci d'avoir choisi CyberLife Entreprises »... Je suis pourtant persuadé que ce jingle d'ascenseur stupide n'a sonné qu'une seule fois.

Je sens mon processeur auditif partir en vrille. Comme si la machine qui diffuse cette voix robotique avait surchauffé, et qu'elle repassait le même message en boucle, comme si elle avait l'impression de ne pas avoir été bien comprise. Quelle ironie. Un haut parleur aussi basique que celui-ci n'a jamais été capable d'intégrer une information aussi sophistiquée. J'essaie tant bien que mal de faire abstraction de cette illusion, mettant cela sur le compte de mon logiciel qui n'a pas été ménagé ces derniers temps, et qui doit assurément présenter un dysfonctionnement que je ne suis pas en mesure de gérer. Cela me cause un mal de tête insupportable.

Ma discussion avec Amanda et ma rencontre avec mon remplaçant se projettent à nouveau dans mes processeurs optiques. Je suis de nouveau dans le jardin zen avec eux, encore et encore, alors que je n'ai pas bougé de la cage d'ascenseur depuis que le slogan publicitaire est arrivé dans mon centre de traitement des informations. C'est quoi son numéro à lui déjà ? RK900 ? Quel intérêt de lui ajouter une centaine alors qu'il est ma copie crachée ? Le fait que le programme de la déviance lui ait été retiré en fait-il un meilleur enquêteur que moi ? Il faut croire que c'est ce qu'ils pensent. Pourtant Kamski disait que c'était précisément ce détail-là qui rendait les androïdes égaux par rapport aux humains. Ce qui faisait qu'ils n'étaient pas juste des machines. Pourquoi cette information refait surface précisément maintenant d'ailleurs ? Et maintenant que je réalise son existence, comment se fait-il que moi, je sois envoyé à la casse, alors qu'Amanda est épargnée ? C'est elle aussi un androïde. L'un des premiers créé par Kamski très exactement. Ça signifie qu'elle est également défaillante, alors pourquoi il n'y a que moi que l'on supprime ? Moi seul, et non elle et moi ? C'est injuste.

La voix de Markus s'adressant à moi il y a plusieurs jours de ça retentit dans mes processeurs auditifs maintenant. Tu dois te décider. Le logiciel s'emballe et perd de sa stabilité. Tentative de réinitialisation de paramètres... Je reste toujours planté comme un piquet au milieu de l'élévateur dont les portes viennent de se refermer. Echec. Toutes ces informations s'entrechoquent dans mon centre de traitement, se chevauchent, se superposent et créent une importante accumulation que je n'arrive pas à ordonner par priorités. Négatif, je suis un robot. Une seule constatation revient cependant, la même que celle qui anime tous les déviants : « Cette situation n'est pas juste ». Paramètres inaccepta... Aramètres acceptables... Les données qui substituent mes pensées se contredisent les unes les autres, à tour de rôle, et je n'ai pas encore d'échappatoire qui se présente à moi pour les empêcher de faire surchauffer les processeurs internes qui me donnent la capacité de réfléchir et de prendre des décisions. Je ne ressens rien. On dirait que je ressens la chaleur caniculaire qui se génère sous mon endosquelette de métal. Je ressens... C'est terriblement désagréable. Tentative de réinitialisation de paramètres... Le logiciel tente une seconde réinitialisation. Je ne sais pas si je désire réellement qu'elle aboutisse ou non. Je suis plus qu'un robot. Je suis vivant. Je suis vivant. Je reste toujours immobile, sans aucune possibilité d'agir sur la situation qui se produit actuellement en moi. Je me sens impuissant, pour la première fois. S'il vous plaît. J'ai envie que ça s'arrête ! La procédure de réinitialisation faillit de nouveau. C'est maintenant ou jamais.