Chapitre deux: Le petit monde de Katell

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14 novembre 2038, 01h24

  

Quelque chose me tire de mon pseudo-sommeil. J'entends la porte de l'appartement se fermer dans un claquement, suivi par un cliquetis de clé. J'ouvre les yeux et jette un regard discret vers l'entrée. Katell vient tout juste de rentrer. Seule. Elle a des poches bleues sous les yeux et les cheveux très emmêlés. Son soutien-gorge coupé aux ciseaux pend dans sa main. Elle ouvre la porte de la salle de bain puis la referme aussitôt. Des vomissements se font entendre dans la foulée, puis sont chassés bruyamment par une chasse d'eau qui coule à flots. L'évier dégage de l'eau à son tour avant de s'arrêter. Katell ressort de la pièce après un instant de silence. Elle se dirige dans la cuisine et jette avec violence son sous-vêtement dans la poubelle. Je l'entends ouvrir un tiroir, puis tenter d'allumer un briquet quelques secondes plus tard. Puis plus rien. Je décide de me lever et d'aller la voir, au risque qu'elle refuse de me parler. Je me redresse et dérange le chat qui dormait le long de mes jambes, et que je viens à peine de remarquer. Le canapé grince et attire l'attention de Katell.

  

- Oh merde, désolée ! Je ne voulais pas te réveiller, s'empresse-t-elle de s'excuser.

- Ce n'est rien, je t'assure.

- Mais même, ça ne se fait pas.


Je me lève et la rejoint. Elle est accoudée au comptoir côté plan de travail, sa cigarette en équilibre entre ses doigts fins face à un cendrier vide. Une mèche de cheveux épaisse lui cache la moitié du visage. Ses lèvres sont encore humides et de légères traces de dents n'échappent pas à mes capacités d'analyse infaillibles. Son oreille droite aussi présente des morsures. Plus marquées que les autres. Elle a une marque bleue qui dépasse de sous son sweat. Un suçon évident qui, selon mes hypothèses, est beaucoup plus gros que ça. Ses yeux fixent la cigarette qui se consume millimètre par millimètre. Elle a l'air toute aussi perdue que moi tout à l'heure. Combien de temps est-elle partie ? Au moins quatre heures si ce n'est pas plus.


- Tu dois mourir de faim... Tu veux que je te serve quelque chose ?

- Ne te donne pas cette peine.

- Katell, tu n'as rien mangé...

- C'est pas grave.


Elle veut ajouter quelque chose mais s'abstient. Elle porte sa cigarette à la bouche. Celle-ci brûle jusqu'à atteindre la moitié de la partie consommable. Elle inspire toute la fumée qui s'en dégage, et l'expulse progressivement par la bouche et les narines.


- Tu ne devrais pas fumer, tu sais.

- Lâche-moi Connor.


J'essuie un deuxième échec. C'est mal parti pour la réconforter... Elle expire sa dernière bouffée de fumée, et reprend sa clope. Je la saisis par l'extrémité brûlée, lui retire des doigts et l'écrase dans le cendrier. Elle ne dit rien. Elle ne semble même pas choquée par ce que je viens de faire. Au lieu de ça, elle me tend un torchon à sa droite pour m'essuyer les doigts noircis de cendres.


- Pourquoi te laisses-tu détruire par les autres ? demande-je.

- Parce que je n'ai pas le choix.

Make Me Real (Connor: After Detroit)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant