Chapitre un: Le chasseur et la chassée

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13 novembre 2038, 17h 06


J'ai marché sans m'arrêter pendant un peu moins de six heures, en me concentrant sur mon attitude générale pour ressembler à n'importe quel humain, à la recherche d'un endroit où je pourrais m'abriter, et je crois que j'ai enfin l'occasion d'avoir un peu de répit. Une casse de véhicules abandonnée, isolée de toute forme de vie et assez grande pour que je puisse me cacher, au cas où la police aurait l'idée de la fouiller de fond en comble. Je pénètre dans ce cimetière de machines inanimées, tout en restant prudent. J'entreprends de vérifier si l'endroit est aussi sécurisé qu'il me le semble. J'inspecte les grillages rouillés mais toujours aussi solides, surmontés par trois lignes de fil barbelé enroulé en spirales. Les véhicules de tourisme de catégorie A les plus endommagés sont regroupés en petits tas dispersés un peu partout au centre de la zone, tandis que ceux en bon état sont alignés en rang d'oignons le long d'une ligne d'une vingtaine d'autobus dans un état acceptable collés au grillage. Une façon intéressante d'ordonner les machines. Je m'enfonce de plus en plus vers le centre. Le sol boueux salit mes chaussures d'enquêteur que je n'ai pas pu substituer avant de partir de chez CyberLife, mais ce n'est pas ma priorité. Cet endroit ressemble à une ville fantôme. Plus je progresse, plus je rencontre des véhicules dans un état déplorable.


J'arrive dans ce qui semble être une sorte de place forte. Des autobus aux pneus crevés forment une curieuse ronde polygonale, un baril d'essence probablement vide siège près de l'un d'eux, entourés de sièges provenant de différents types de véhicules mutilés, dépecés, cabossés, trônant sur un tapis de mousse de rembourrage découpée en morceaux irréguliers, entre lesquels dansent toutes sortes de pièces mécaniques, de mégots de cigarette, de sachets en plastique qui avaient dû transporter quelques substances douteuses et d'outils de bricolage qui n'avaient rien à faire ici. Un deuxième bidon troué près de moi, à l'opposé du premier constatait sa solitude au milieu de canettes déformées, et autres détritus qui me confirment que l'endroit n'est pas aussi désert que je ne le pensais. Pour le moment, rien d'alarmant, mais je préfère rester attentif. Si l'heure est actuellement au calme, je sais indéniablement que je risque d'être dérangé d'ici peu. Très certainement des dealers et leurs clients qui se rejoignent ici pour leur trafic de Red Ice. La prudence s'impose.

La neige tombe toujours, avec la même légèreté que ce matin. Je ne saurais affirmer si elle s'est arrêtée entre temps ou non. Bien que je ne ressente pas le froid, mon thermomètre interne indique cinq degrés. Cela explique que je n'ai croisé que peu voire aucun être humain durant mon exploration de la ville. La lumière n'a pas percé l'épaisse couche de nuages depuis ce matin, comme si le soleil ne s'était pas levé ce jour là. Je m'aperçois seulement maintenant que j'ai du givre sur les mains. Je m'empresse de les frotter ensemble et de faire partir la glace sur mes doigts. Mes systèmes peinent à fonctionner. Il faudrait que je me mette en veille et que je trouve un endroit tempéré pour les réchauffer, mais en cette saison et en ce lieu précis, c'est pratiquement irréalisable.


Des voix retentissent de l'autre côté de la place déserte où je me trouve et me sortent de ma réflexion technique. Des jeunes, assurément. Trois hommes. Tiens ? Une femme aussi ? Les femmes humaines ont-elles de l'intérêt pour la drogue ? Je les croyais plus respectables que leurs homologues masculins. De ce que j'entends, les quatre individus n'ont pas l'air de s'apprécier mutuellement. Deux options se présentent à moi : les observer, ou me cacher. J'analyse les deux possibilités. Peut-être devrais-je m'assurer qu'ils ne viendront pas jusqu'à la place, auquel cas, les attirer ailleurs au moyen d'une diversion. C'est risqué, mais je ne veux vraiment pas avoir affaire à eux plus tard. Je me faufile le long des autobus en m'accroupissant jusqu'au point de réunion, à l'opposé de ma position initiale. Je remarque sous l'un des sièges abandonnés la crosse d'une arme de poing. Un pistolet basique, avec un chargeur plein. Probablement plus destiné à intimider les clients difficiles qu'à tuer. C'est une aubaine. Je la vérifie d'un coup d'œil expert et rapide, et la dissimule dans mon dos, la retenant avec la ceinture de mon jean, et recouvre le tout de mon manteau de feutre. J'espère malgré tout que je n'aurais pas à m'en servir.

Make Me Real (Connor: After Detroit)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant