Cinquième cri

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15 janvier 2016 :

— Sandy ! Sandy !
C'est ce que j'entendais à chaque coin de couloir.
Je le voyais à chaque coin de couloir.
Clément.

Et, que ce soit bien clair : c'était pas qu'une illusion de mon cerveau. Il était vraiment là, ce c*nnard !

À mon grand malheur, il a bien fallu que je m'arrête à un moment et qu'on se parle...
Doutez-vous bien que ce que j'avais à lui dire n'allait pas être tendre !
Par égard pour les plus jeunes lecteurs, je ne vais pas retranscrire ce que je lui ai sorti...
Le sens général de mes cris en plein milieu du couloir ?
Espèce de lâche, enc*lé, s*lopard, pourquoi tu m'as abandonné...
(Et encore, là, c'est poli...)
Et à cela, il m'a répliqué que "j'avais envie d'aller aux toilettes, c'était une urgence, arrête de crier, je suis désolé".

Je vous passe les détails.
On a d'autres choses à faire que s'occuper de ce mytho-lâche-tapette...
Comme par exemple la fin de cette histoire.
Son apothéose.
Son apogée.
Son... bon, on va s'arrêter là, je pense que vous avez compris le truc.

Il était temps d'arrêter Mirage.

Sauf que pour cela, il fallait que je m'associe au mytho-lâche-tapette. La joie.
Comprenez bien : il était le seul à connaître l'histoire du fantôme et j'en avais besoin.
Une chasse au poltergeist, ça vous tente ?

Bon, d'abord, le b.a.-ba : connaître le fantôme pour pouvoir le traquer.
Allez ! Faites travailler un peu vos petites cervelles !
Où pourrait-elle aller ?
Non, aucune idée ?
Humph !
Aucun commentaire sur votre capacité de réflexion.

Mirage était critiquée. Seule.
Où iriez-vous, dans son cas ?
Dans les recoins de l'établissement, évidemment.
Eh, ouais ! Direction le CDI.
C'est qu'après tout ça, je le connais par coeur, moi.

J'aurais du être heureuse : chassez un fantôme vengeur, c'est une bonne manière de sécher les cours sans trop culpabiliser, non ?
Mais, à cause de cet abruti, j'étais plutôt dans l'état d'esprit d'un pitbull : hargneuse.
Après tout, le pauvre documentaliste qui nous a accueilli n'avait pas mérité que je l'envoi bouler en le traitant d'inutile. Même si c'était véridique.
Quoi ? C'est vrai : je m'en fichais, moi, de comment trouver un bouquin en fonction de sa tranche. Tout ce que je voulais, c'était aller dans le coin le plus invisible du CDI.

C'est pour ça que Clément et moi sommes allés dans une ancienne salle de travail, remplie désormais d'un bordel sans nom.
Va-t-en savoir comment l'autre idi... bizarroïde, connaissait l'existence de cette pièce !

On a fouillé partout. Sans exception. Et on a rien trouvé.
Clément a bien eu l'air de voir quelque chose à un moment, mais il a tout de suite hurlé que non. "Pas de faux espoirs" a-t-il dit.

Vous devez vous demander ce qu'on cherchait, quand même ?
Parce que si c'est pas le cas... qu'est-ce que vous foutez là, sérieux ?

Pour ceux qui se posait la question : vous connaissez Supernatural ? Les frères qui chassent des esprits, avec un ange un peu borné, un Dieu qui jardine et une dose incroyable de ressuscitations ?
C'était (et c'est encore) mon Saint Graal.
Sans ça, je n'aurais jamais su comment tuer un mort.

Il faut brûler ses restes.
Ouais, dégueu... mais raison oblige !
Je sais, je sais... je suis incroyablement courageuse d'être prête à faire ça.

Enfin... Prête à brûler l'objet auquel Mirage est attachée.
Parce que c'est ce qu'il faut faire dans le cas où le corps a été incinéré.

Quoi qu'il en soit, nous sommes ressortis du CDI bredouilles.

Et c'est à ce moment là que tout est parti en cacahuète.
Pile quand j'ai sorti la phrase : 《Comment va-t-on l'arrêter, maintenant ? 》
Plutôt innocent, non?
Pas de raisons, donc, que Clément monte sur ses grands chevaux.
Même s'il y avait un tout petit minuscule riquiqui gros mot dans mes propos.

Tout s'est enchaîné très vite, après que Clément m'ait répliqué qu'on n'était pas obligés de la tuer.
On s'est entre-hurlés dessus. Clément est parti. Je suis restée seule comme une idiote.
Et puis je suis partie, aussi.

Vous auriez fait quoi, à ma place ? Surtout après les événements de la veille.

Tout le reste de la matinée, j'ai continué mes recherches.
Jusqu'à la dernière disparition.

Je n'étais pas sur les lieux, évidemment, mais quand j'ai vu tout les surveillants en mode branle-bas de combat, prêts à torturer de nouveaux innocents, j'ai tout de suite compris.

C'était fini.
Mirage avait encore frappé.
Pour la dernière fois, cette année.
Plus de course contre-la-montre.
On avait tout le temps pour la stopper, maintenant.

Je n'étais donc pas obligée de courir au CDI. Ni de débouler en trombe dans l'ancienne salle de travail.
Pourtant, c'est ce que j'ai fait.

Je ne sais plus ce qui m'a poussé à faire ça. Mais j'ai couru, couru comme je ne l'avais jamais fait.
La porte a claqué contre le mur.
Et j'ai regretté d'avoir autant couru.

Clément était là, immobile, une lettre à la main.
Il m'a regardé, à peine surpris.
Je crois que je lui ai demandé ce que c'était parce qu'il m'a répondu : "Ma lettre de suicide."
J'ai répété ses mots une bonne dizaine de fois avant de comprendre.
Sa lettre de suicide.
Et ça a fait tilt !

Quelques secondes avant qu'il ne me sorte :
— C'est moi, Mirage.
J'ai bégayé un "quoi ? ".
Et il a répété, comme si je n'avais pas assez bien entendu la première fois :
— Je suis Mirage.

Boum ! Mon petit monde a explosé.

Vous avez déjà reçu un coup de poing dans le ventre ?
Je pense que ce que j'ai ressenti à cet instant en était assez proche.
L'impression que tout mes intestins venaient s'emmêler derrière ma colonne vertébrale, que mon estomac s'applatissait en remontant vers le haut, que tout son contenu se frayait un chemin vers ma bouche, et que mes poumons, oppressés, expulsaient tout l'air qu'ils contenaient.
Pas très agréable, donc.

Et tandis que j'essayais de contenir mon petit-déj' tout en remplissant mes poumons, il m'a regardé.
Il s'est excusé.

Et il a disparu avec la lettre.

MirageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant