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          Le soleil frappait la carrosserie des voitures, pour réfracter un rayon directement sur ma pupille, m'aveuglant partiellement. Je reportai mon regard sur le vert feuillage des arbres qui m'entouraient, la tache de lumière persistait à vouloir s'imprimer partout où mes yeux se posaient. La touffeur ambiante me prenait à la gorge, m'asséchait la bouche, rendait mon front est mes joues brûlants. Même à l'ombre, la sensation de cuire ne me quittait pas, engourdissait mes membres, couvrait mon visage d'une pellicule de sueur, mettait mon cœur à rude épreuve. Il s'affolait et mes tempes bourdonnaient, alors que je progressais à pas menus.

          Un léger souffle d'air agitait quelques feuilles gorgées de lumière, d'une couleur profonde, vibrante de vie. Mais cette brise ne m'atteignait pas, ou si elle le faisait, ses effets n'étaient pas assez puissants pour contrer la chaleur accablante.

          J'étais excédée d'avoir dû quitter la fraicheur relative de ma chambre, et mon thé glacé. Lorsque je reviendrai, il serait sûrement tiède, et il faudrait bien plus que cela pour me faire retrouver une température corporelle acceptable. Tout ça pour un foutu rendez-vous avec mon futur entraineur de natation.

          J'étais actuellement en loisir, ce qui me permettait de nager une à deux fois par semaine sans me préoccuper de suivre un entrainement qui ne me conviendrait pas. Malheureusement, il n'y avait qu'une ligne d'eau dédiée aux personnes qui choisissaient ce module, et nous étions bien trop nombreux pour nager en paix. J'étais exaspérée de devoir passer ma vie à doubler les autres, voire me faire nager dessus par les moins scrupuleux. En effet, les niveaux étaient très hétérogènes, j'avais une dizaine d'années de natation derrière moi alors que certains ne savaient toujours pas nager une brasse correcte.

          J'espérais que ce rendez-vous m'annonce une bonne nouvelle, comme la création de deux groupes de loisir, aussi avais-je décidé de m'y rendre, bien qu'à contrecœur.

          J'aurais presque enfilé un maillot de bain tant mon short en jean et le haut blanc sans manches que je portais me tenaient chaud. Mais même pendant les vacances, il y avait de trop grandes chances de croiser quelqu'un dans cette ville pourtant perdue au milieu des champs.

          Quelques minutes plus tard, je finis par arriver à la piscine et maudis le crétin qui me servait d'ex, et qui descendait justement de sa Fiat pourvue d'air conditionné. Je pressai le pas pour éviter qu'il ne m'aperçoive, et me dirigeai vers les baies vitrées de l'entrée. Je m'aperçus brièvement que mes cheveux étaient attachés n'importe comment, mais surtout, que mon visage entier était paré d'une couleur rouge du plus mauvais goût. Haussant les épaules, j'entrai, de toute manière je ne venais pas ici pour leur plaire. Cela faisait bien longtemps que je n'avais plus rien à faire de ma réputation, de ce que les gens (autres que ceux qui comptaient réellement pour moi) pouvaient bien penser sans que je ne le sache.

          Une bouffée de fraîcheur me fit suffoquer lorsque j'entrai dans le hall où les familles se pressaient, se préparant à rejoindre la canicule, ou à entrer dans les vestiaires. Je m'assis un instant dans un fauteuil, me saisis d'un magazine sur lequel les microbes devaient pulluler, et l'agitai frénétiquement pour me faire plus d'air que je n'en avais déjà.

          Au fur et à mesure que les minutes passaient, mon irritation atteignait des sommets insoupçonnés. Mes doigts étaient crispés sur le journal afin d'éviter d'étrangler un de ces enfants trop bruyants ou, mieux encore, l'entraîneur qui ne se décidait pas à me faire l'honneur de sa présence. Ma respiration se faisait plus hachée à mesure que la colère me gagnait, parasitait mon jugement, s'emparait de mon esprit en surchauffe. J'enfonçai mes ongles dans la paume de ma main, tachai de me résonner, afin d'éviter de faire un scène à cet imbécile en retard.

          Un frisson de fureur se glissa jusqu'à mon cœur lorsque mon ex se décida à entrer. Tous les muscles de mon corps se contractèrent, mus par un profond ressentiment, de la haine presque. Il m'aperçut, son visage aimable se fendit d'un sourire, il se dirigea vers moi tandis que je mourrais sous les assauts impitoyables de ma conscience. Ses yeux chaleureux, d'un vert tendre qui reflétait la moindre de ses émotions, étaient braqués dans les miens. Je fus submergée par toute cette haine que je ressentais, dirigée vers une seule personne. Moi.

          Une voix forte fendit la brume de mon esprit, percuta ma raison qui s'effaçait peu à peu, remplacée par ce dégoût de moi-même. Je fus expulsée de mon introspection, mon attention se focalisa sur ce timbre grave, presque rocailleux qui titilla quelque chose en moi. Un vieux souvenir tenta de remonter, mais je le chassai d'un simple battement de cil, de la même manière que j'occultai la présence du crétin. Je lui tournai le dos, même si mon cœur se pinça lorsque j'imaginai son visage défait, la déception qui devait faire briller ses yeux.

          Je rejoignis la voix à la hâte, tout mon corps se glaça en rencontrant ces yeux sombres, qui firent exploser les souvenirs dans mon esprit. Un long frisson me parcourut, je fis comme si de rien n'était, lui adressai un sourire crispé et le suivis. Ma fureur décupla, d'avoir attendu si longtemps, mais aussi parce que je le connaissais. Et je voulais à tout prix qu'il ne se rappelle pas de moi.

          Enfin, de celle que j'avais été.

Une brasse pour atteindre ton cœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant