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         Glacée par l'effroi. Ma tension ne semblait pas décidée à chuter, j'avais toujours ce couteau qui me remuait les entrailles, lacérait l'assurance que j'avais édifiée pendant si longtemps, pour ne laisser que la crainte que mes remparts trop malléables ne sautent. Je me retrouvais face à une falaise, lisse et stupéfiante de hauteur, le sol se dérobait sous mes pieds, et j'étais totalement impuissante. Je ne pouvais pas grimper, j'étais simplement condamnée à sombrer dans le gouffre qui progressait vers moi jusqu'à m'engloutir.

          Au fond, la honte. Sa noirceur absorbait tout. Tout ce que j'avais pu construire après ma fuite de la piscine, le travail que j'avais effectué sur moi-même menaçait d'être réduit à néant. Les kilos que j'avais perdus en courant, en me restreignant, ma timidité que j'avais chassée à grand coup d'auto-persuasion. Un clin d'œil, une perte d'équilibre, et le vide m'attirait.

         En plus de la pression que Gabriel appliquait sur moi, il y avait le rapprochement irrépressible d'Hazel. Il devenait de plus en plus proche, même sans communiquer. Ses yeux noirs brisaient toutes mes barrières, ils semblaient lire directement en moi, un œil de spectateur qui m'observait du haut de la falaise. Il m'examinait en train de paniquer tandis que le trou s'élargissait, menaçait tout ce que j'avais construit. Et mes remparts, qui me permettaient de ressentir, me semblaient finalement bien fragiles, eux aussi en passe de s'écrouler. Un effondrement global de ce qui faisait de moi quelqu'un de froid, calme et qui se fichait de l'avis des autres. Seul mon cœur restait quelque peu à l'abri à l'intérieur du bloc de glace dans lequel il était enfoui.

         Autrement dit, Hazel menaçait l'équilibre de mes murailles, et de l'ensemble de ma santé mentale. Restait à savoir si j'étais prête à laisser tomber ce masque, qui m'avait bien aidée à me construire comme une adulte affirmée, ou si je préférais me complaire derrière, bien au chaud et en sécurité. Étais-je prête ? Pouvais-je tenter une ascension rendue incertaine par l'absence de prises, assurée par ces années de renforcement mental ?

— Nermine ? Tu vas prendre tes affaires ? Nous sommes censés rejoindre les autres à la plage pour leur partager le programme, m'interrompit Hazel.

        Il me fit revenir sur Terre, brutalement, car je n'avais même pas le souvenir de m'être retranchée dans mes pensées.

— « Nous » ? le repris-je, tentant de me remettre de mon introspection en faisant diversion.

— Bah, on y va ensemble quoi, affirma-t-il pour ne pas me laisser le temps de protester.

         Je quittai la pièce en ronchonnant sous son rire grave qui m'horripilait. En observant mon reflet dans la glace, j'aperçus un éclat au fond de mes yeux, dont je n'avais pas conscience. Un éclat que je n'avais jamais vu, qui vibrait de chaleur et dont les ondes se répercutaient au creux de mon ventre. Un petit frisson d'angoisse et d'attente me traversa, et me laissa sous le choc de ce que je ressentais en moi.

          Alors, je sortis mon maillot de bain vert canard, qui tranchait avec ma peau trop pâle. Je m'étais promise de ne pas le porter devant les autres, mais la nitescence que j'avais perçue dans mon regard me portait, elle m'ordonnait de jouer, de m'accrocher à la paroi et de tenter l'ascension. Prudente, mais tentée par l'expérience, et même si la peur me vrillait toujours le ventre, je ne m'opposais pas à son attrait.

         J'enfilai le maillot une pièce, dont le décolleté en V plongeait jusque sous mes seins, et autant dans le dos. Je ne voulais pas le mettre, car nul ne pouvait manquer que mon ventre n'était pas plat, au contraire de ceux des autres, ou que mes seins étaient bien trop volumineux pour une nageuse. Mais aujourd'hui, cela n'avait plus d'importance. J'enfilai par-dessus un débardeur blanc que je rentrai dans mon short en jean. Une fois mon sac fait, je rejoignis Hazel dans le hall.

         Son torse doré se découpait à contre-jour dans la porte d'entrée, par laquelle le soleil entrait à flots. Développés tout en finesse, ses muscles roulaient sous le hâle de sa peau lorsqu'il fouillait dans son sac. Son short blanc tranchait avec son bronzage, une tache de clarté qui captait mon œil, l'hypnotisait et l'emprisonnait sur sa peau chaude.

        Il me sourit et s'éloigna tandis que je lui emboitais le pas. Ma panique s'était peu à peu calmée, j'en étais venue à penser que Gabriel ne lui avait rien dit sur moi. Et en même temps que la peur, le balai que j'avais dans les fesses était parti, me laissant maitresse de la situation. Et surtout, beaucoup moins stressée. Une idée s'imposait peu à peu à mon esprit : si Hazel avait vraiment cherché dans sa mémoire, il aurait trouvé depuis bien longtemps. Le fait qu'il ait demandé à Gabriel montrait bien qu'il ne pouvait y arriver seul. Ou alors, il n'y prêtait pas une grande attention, et il lui avait demandé machinalement, au cas où il en saurait plus. Je pouvais me détendre sans toutefois baisser la garde.

— Y aura des paddles cet aprem'. Le président du club a un pote à lui sur l'île, et il nous les prête.

         Je dus me retenir pour ne pas laisser ce torrent de joie m'emporter dans ses eaux allègres, et laisser exploser ma satisfaction. Cela ne cadrait pas vraiment avec l'image que je renvoyais.

— J'adore le paddle, finis-je par lancer, sobre et efficace.

— Je ne pensais pas que tu puisses « adorer » des trucs, rit-il en me poussant doucement.

          Vexée, je fis abstraction de la décharge électrique causée par sa peau sur la mienne pour rétorquer sèchement.

— J'aime d'autres choses que faire la gueule, tu sais.

— C'est pas évident au premier abord, j'avoue, répliqua-t-il sur un ton amusé, sans remarquer mon agacement.

        Passablement énervée, je le fusillai du regard en le poussant dans les ronces. Il dévia sa trajectoire dans un éclat de rire, et je lui assénai un coup dans le bras. Son regard s'accrocha au mien, un rayon de soleil brilla dans ses yeux, je me rendis alors compte qu'il faisait exprès pour me pousser à bout. Je croisai les bras en grommelant, bien consciente que cela l'amuserait d'avantage. Une gamine boudeuse, voilà ce que j'étais en sa compagnie.

— Boude pas, Mine !

          Il posa ses mains sur mes épaules, me secoua légèrement, puis passa sa main dans mes cheveux, comme pour les recoiffer. Étonnée, j'en restai muette, et surtout, je ne repoussai pas sa main. Il me fallut un effort pour me libérer de sa poigne – il ne me serrait même pas – et plus encore pour oublier le contact qu'il avait laissé dans mes cheveux. Une simple caresse et il s'emparait déjà de moi, et la seule chose que je voulais, c'était qu'il continue. Plus il m'approchait, et plus je savais ce que je voulais : grimper la falaise à toute allure et le retrouver au sommet.

          Mais je ne perdais pas de vue que je ne voulais pas d'une relation exclusive. Avec quiconque. 

Une brasse pour atteindre ton cœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant