Hazel
L'eau martelait mes épaules tendues après une séance intense de travail sur les bras. Gabriel avait remplacé l'entraineur uniquement pour avoir le plaisir de nous faire souffrir. Et cela fonctionnait très bien : il me semblait qu'on plantait de courts poignards effilés dans mes épaules à chaque fois que j'esquissais un mouvement de bras, des petits points noirs tachaient ma vision dès que je me baissais, et mes muscles hurlaient de douleur.
Je me contentais de profiter du massage effectué par la pression du jet de la douche, tandis que les mecs parlaient de l'entrainement qui allait suivre, et dont je ressentais la douleur par avance. L'eau refroidit soudainement, m'arrachant une grimace, puis se réchauffa jusqu'à me bruler quelques instants plus tard. Pas très agréable, aussi je filai dans les vestiaires.
Je m'habillai en vitesse et sortis pour voir un camion de pompiers garé devant la piscine. Quelques instants plus tard, un brancard déboula par la porte des entraineurs, qui donnait directement sur le bassin, emportant une fille emmitouflée dans des couvertures chauffantes. Mon cœur rata un battement à l'idée qu'il y ait eu un accident dans mon bassin, l'endroit que je considérais comme sûr, car j'y passais mes soirées. J'essayai de détailler la fille, mais je ne la connaissais pas, je me rappelais à peine l'avoir déjà croisée, et j'aurais eu bien du mal à l'identifier, avec son visage perdu dans l'épaisse couverture, masqué à ma vue.
Cette vision s'imprima sur ma rétine avant qu'elle ne s'éloigne dans un cortège de murmures : « elle s'est noyée ! », « elle est en compétition, en plus ! ». Gabriel suivait de près les hommes dans leurs uniformes, son visage déformé par l'inquiétude. Elle devait être dans son groupe, cette petite dont je n'avais aperçu clairement que le nez. Puis mes amis me rejoignirent et elle fut reléguée aux limbes de ma mémoire.
Maintenant, je me souvenais. La vue du visage de Nermine enfoui dans mes mains avait agi comme un électrochoc. En un instant, je m'étais souvenu. Et le temps que ce souvenir illumine mon esprit et transparaisse dans mes yeux, elle s'était enfuie en courant. Je me retrouvais étendu sur mon lit, dépassé par les événements.
Ses lèvres contre les miennes. Puis ses mains sur mes fesses. Sa fougue délicieuse. Son parfum entêtant, suave. Et son regard glacial. En un battement de cil, la situation s'était gélifiée pour me filer entre les doigts, et je ne pouvais plus dormir.
Je me levai, guidé par le clair de lune, et sortis sur mon balcon. Dehors, il faisait plus frais, mais pas au point d'enfiler un pull. Le vent soufflait sur la lande, une masse sombre et opaque : impénétrable. Presque dangereuse. Mon regard se porta plus bas, vers la piscine qui scintillait d'une lueur argentée, jusqu'à percuter deux ombres assises l'une contre l'autre sur les escaliers.
Je les reconnus immédiatement : des cheveux noir corbeau et une peau si pâle qu'elle en paraissait transparente, appuyée contre une silhouette à la stature immense et dont la peau se fondait dans l'ombre ambiante. Mon cœur se réchauffa en les observant : Nermine et Gabriel. Le calme leur servait de couverture, les chants des grillons, de berceuse. Blottis l'un contre l'autre, je les enviais de s'être trouvés, d'avoir quelqu'un sur qui compter.
Plic. Ploc.
Plic. Ploc.
Plus vite, plus loin.
Plic. Ploc.
Plic. Ploc.
Plus d'ardeur, plus de corps.
Plic. Ploc.
Ouf.
Je m'arrêtai pour reprendre mon souffle, puis repartis en trottinant en direction de l'hôtel. À force de courir dans les flaques, d'y mettre tous mes muscles, chaque partie de mon corps pour aller vers l'avant, j'étais trempé. Il pleuvait peu, et il faisait encore chaud, aussi je n'avais pas froid même en short.
— Nermine ! Dépêche-toi, on va à la plage, s'écria la voix suraigüe de Paula au moment où j'arrivai.
Je tournai la tête pour voir Nermine sortir de la piscine, vêtue d'un maillot de bain kaki qui faisait étinceler ses yeux. L'eau dégoulina le long de sa peau opaline, offerte à la pluie fine qui l'humidifiait et la faisait luire dans l'atmosphère lumineuse même sans soleil.
Elle s'élança vers l'entrée du hall, ses longues jambes semblaient briller pour attraper mon regard. Elle y arriva au moment même où je décidai d'entrer, en lui adressant un grand sourire. Ses yeux me transpercèrent, un air neutre plaqué sur son visage d'enfant, et je réalisai que je n'existais plus. Elle ne me voyait pas. Je faisais partie du paysage qu'elle parcourait du regard sans jamais s'arrêter pour examiner un détail, et encore moins moi. Mon cœur frémit, comme si elle y avait planté un poignard aiguisé, et qu'il avait loupé sa cible de peu.
Mais je ne perdis pas mon sourire, car il l'agaçait, et c'était toujours le seul moyen que j'avais pour l'atteindre. J'étais retourné à la case départ, et je réalisais avec effroi que sa fuite d'hier était synonyme d'une réelle menace qui devait émaner de moi, et non du fait qu'elle était déstabilisée. Elle tourna les talons sans un signe d'agacement, me laissant dans le hall, seul et trempé. Mais je n'étais pas abattu. Malgré les coups qu'elle pouvait me porter, je restais dressé comme un roc.
Elle ne me ferait pas perdre ma bonne humeur, partie intégrante de ma personnalité depuis des années. Si elle ne voulait pas de moi, très bien, je n'allais pas la forcer. Mais je la sentais vaciller derrière son masque, qui se fissurait légèrement, et cela me donnait la force de me relever pour continuer de me battre pour elle.
Et je prendrai les risques qu'il fallait pour gagner cette bataille.
Jusqu'à la conquérir, elle, si elle me laissait le faire.
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Une brasse pour atteindre ton cœur
RomanceIl palpitait en sécurité au creux de ma cage thoracique, à l'abri de tout sentiment indésirable. Mon cœur était à l'écart des gens, éloigné de l'affection, à des kilomètres de l'amour. Il suffisait d'une personne pour briser cette tranquillité noci...